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  • Quentin Coldefy

Changer de branche, tout un boulot


Phase de grimpe avant abattage, le 19 avril 2021 à Charbonnières (Rhône). ©Arbres en Sim’

L’image du Bac +5 qui se réoriente vers un métier manuel a beau gagner du terrain avec la crise sanitaire, elle est loin de coller à la réalité. Reconverti dans l’élagage depuis septembre dernier après trois années passées derrière un bureau, Léandre, 27 ans, fait figure d’exception dans la canopée.


3 degrés à 7 heures du mat’ ce mardi 20 avril. Léandre se présente devant un portail clos à Charbonnières-les-Bains, équipé de son pantalon rouge et de ses chaussures de sécurité. Devant l’entrée, un panneau « Arbres en Sim’ » désigne sa nouvelle boîte. Passé de l’autre côté, Léandre retrouve Simon Weber, son chef, Hugo, son collègue apprenti, et Maïa, la chienne malinoise qui veille devant l’entrée. Dans la cour, camions, broyeur, brouette et toute sorte de matériels de l’entreprise d’élagage créée par Simon sont entreposés. Installés dans le garage, les trois collègues partagent un café dans des gobelets en carton. Le temps que le jour perce vraiment et que la température remonte. C’est aussi l’occasion de reparler du chantier de la veille. Tout près de là, les trois élagueurs ont dû grimper à une vingtaine de mètres au-dessus du sol pour abattre plusieurs érables et frênes le long d’une route. « T’as vu la technique de grimpe ?! », se congratule Léandre devant une vidéo de ses œuvres. Ce matin, le programme sera plus léger. Il faut se rendre chez un particulier à Francheville pour abattre un prunus coupé en deux. « C’est pas plus mal pour le corps d’alterner entre des gros chantiers et des journées plus tranquilles », explique Simon pendant que ses deux jeunes employés chargent les tronçonneuses et préparent le véhicule. Pour Léandre, ce genre de matinée n’a rien à voir avec ce qu’il connaissait il y a encore quelques mois.


« C’est la première fois de ma carrière

que je vois un stagiaire qui vient de ce genre de métier de bureau »


Franchir le pas

Léandre et ses collègues jouent aussi les coiffeurs. © Quentin Coldefy

Ce Lyonnais d’origine a fait le grand saut en septembre dernier. Avant, il se coltinait des missions de communication, de veille et de montage de dossiers d’appel d’offres pour un cabinet d’architecture à Clermont-Ferrand. Après quasiment trois années à ronger son frein derrière un ordi, il a quitté cet emploi à l’été 2020 pour se lancer dans un Certificat de Spécialisation Arboriste Elagueur (CS) près d’Ambert (Puy-de-Dôme). A l’origine de ce changement de vie, une volonté de retrouver de l’envie au travail en étant directement sur le terrain. Sportif et à l’aise en escalade, le choix de l’élagage s’est vite imposé. « Je ne regrette pas. C’est sûr que c’est parfois difficile mais ça me plaît d’être dehors et de me bouger », explique le jeune homme de 27 ans sur le trajet vers le chantier du jour.


Le cas de Léandre est loin d’être isolé. Selon un sondage Ipsos de 2018, 79 % des Français souhaiteraient « se réinventer ». Près de la moitié des sondés (47%) assurant même « passer à côté de leur vie ». Une tendance que la crise sanitaire et l’essor du télétravail semblent avoir exacerbée. D’après l’édition 2021 du baromètre de l’emploi et de la formation du Centre Inffo, un actif sur cinq est aujourd’hui dans un processus de reconversion professionnelle (20%). Pourtant, au-delà des rêves de food truck, de permaculture ou d’ouverture d’un bar associatif, la réalité reste différente. Arrivé dans le jardin pour la mission du matin, Simon laisse Léandre et Hugo gérer l’abattage du prunus. Pour une fois, pas besoin de cordes ni de baudrier. « C’est la première fois de ma carrière que je vois un stagiaire qui vient de ce genre de métier de bureau », note-t-il, l’œil attentif au travail de ses nouveaux collègues.


Le « challenge » du jour a eu raison de l'étendage. © Quentin Coldefy

« Dans ma promo, il y a un ancien pompier, un militaire, un aide-soignant, un paysagiste :

que des métiers physiques. »


Un exemple de reconversion encore rare

Les jeunes à l’assaut d’un prunus déjà mal en point. © Quentin Coldefy

Elagueur depuis plus de 15 ans, Simon a croisé un paquet de parcours atypiques. Mais jamais un de ce genre : « En général, les reconversions vers l’élagage se font à partir de boulots déjà physiques. » Un constat personnel confirmé par les statistiques. En 2018, le dossier Formations et Emploi de l’Insee indiquait que sur l’ensemble des salariés en formation, seuls 10% veulent apprendre un nouveau métier. Quand 58% le font pour bénéficier de meilleures perspectives de carrière ou se perfectionner dans leur métier. Dans les faits, changer complètement de branche n’est pas commun. Hugo, 25 ans, en est un bon exemple. Lui qui était maraîcher dans la région lyonnaise croise surtout des profils comme le sien. « La plupart de mes collègues viennent de métiers cousins : paysagistes ou bûcherons par exemple », explique-t-il en refaisant le plein de carburant pour sa tronçonneuse. Alors qu’il peaufine son travail en taillant du bois mort sur d’autres arbres du jardin, Léandre prolonge le récit derrière le vrombissement des machines : « Dans ma promo, il y a un ancien pompier, un militaire, un aide-soignant : que des métiers physiques. »


« Cette année, on voit arriver énormément de personnes de la restauration, de l’hôtellerie

et du monde du spectacle. »


Faire un aussi grand écart que celui de Léandre est tout sauf simple. Face au vertige que peut susciter une telle décision, mieux vaut avoir les reins solides. « La possession personnelle ou familiale d’un capital économique rend possible un certain type de reconversions professionnelles », note la sociologue Sophie Denave dans un article paru en 2006 dans les Cahiers internationaux de sociologie mais dont le constat reste valable. Sous le soleil matinal, Léandre abonde : « Je ne sais pas si je me serais lancé là-dedans sans sécurité matérielle ou si Pôle Emploi ne m'avait pas financé ma formation. C'est sûr que ça aide. » D’après l’Insee, 15% des salariés citent le coût comme principal obstacle à la formation. Plus d’un quart (28%) évoquent leur charge de travail. Car quitter son emploi n’est pas toujours possible. C’est d’ailleurs à la perte d’un boulot que la reconversion prend souvent forme. Pendant qu’il tracte les branchages en direction du broyeur, Hugo témoigne : « Après le premier confinement, je n’ai pas été gardé par les repreneurs de l’exploitation maraîchère. J’ai dû trouver un autre métier pour payer mon loyer. » Voilà une autre conclusion du baromètre du Centre Inffo : la volonté de reconversion est plus forte parmi les personnes sans emploi (35%). Ce n’est qu’à travers ces reconversions subies que Germain Schmidt, responsable du pôle arboriculture au Centre de formation de Saint-Germain-en-Laye, voit arriver des profils inattendus. « On a déjà accueilli des ingénieurs de l’industrie automobile après un plan social chez Renault, raconte l’ancien élagueur. Cette année, on voit arriver énormément de personnes de la restauration, de l’hôtellerie et du monde du spectacle. » Avant de tempérer : « En plus d’être difficile, l’élagage n’est pas toujours très nourrissant intellectuellement. Les élagueurs dont le niveau d’études est suffisant se réorientent souvent dans d’autres métiers, notamment en GAO (Gestion des Arbres d’Ornement). »


Direction le broyeur pour la carcasse. © Quentin Coldefy

« Métier de passage »


En France, on comptait 8 700 élagueurs en 2017 d’après l’Union nationale des entreprises du paysages (Unep). Mais le turnover est important. Car si le chantier du jour ne présente aucune difficulté, le métier d’élagueur est avant tout usant et dangereux. « On ne fait pas ça toute sa vie, assure Simon après avoir nettoyé la pelouse des dernières branches tombées. Les gens disent qu’on fait un métier passion parce qu’on travaille dehors mais c’est facile de dire ça quand il fait beau comme aujourd’hui. L’hiver, il faut grimper dans le froid ou sous la pluie. » Président de Sequoia, association qui regroupe des entreprises d’élagage autour d’une charte de qualité, Loïc Gourbrein confirme : « C’est un métier de passage. Les arboristes font souvent 4-5 ans avant de se tourner vers quelque chose de moins pénible. » Outre ces carrières courtes et la dangerosité du métier, l’élagage n’offre pas non plus des revenus mirobolants. Un élagueur diplômé démarre avec un salaire moyen de 1 600 euros net, pouvant grimper jusqu’à 2 500 euros net en fin de carrière. Pas de quoi perturber Léandre casque anti bruit vissé sur la tête pendant que le broyeur tourne. « Je ne me projette pas spécialement à très long terme, l’idée d’apprendre de nouveaux métiers ne me fait pas peur. Au contraire, c’est intéressant », assure-t-il.


« Les compétences en gestion de la nature diminuent. Il faut relever le niveau avec des gens

qui ne sont pas là que pour le côté performance du métier. »


Broyer du vert. © Quentin Coldefy

L’élagage doit aussi composer avec une image pas toujours reluisante. « On est parfois vu comme des bourrins avec des tronçonneuses », déplore Simon, le visage déjà bien coloré par le soleil. Pour Loïc Gourbrein, le problème vient de la durée des formations : « Quand on nous dit qu’on sort des professionnels de qualité avec une vraie éthique de l’arbre en seulement neuf mois ça nous fait sourire. Beaucoup de gens pensent qu’il faut des branches par terre pour justifier leur savoir-faire. C’est le drame de la profession : on réfléchit une fois qu’on est fatigués. » Les profils comme celui de Léandre apparaissent comme une aubaine pour certains dans le métier. Le président de Sequoia aimerait pouvoir attirer plus de personnes aux études longues. « Les profils diplômés sont plus intéressants. Ils ont plus de recul et plus d’intérêt pour le végétal, concède-t-il sans hésitation. Ces dernières années, les compétences en gestion de la nature diminuent. Il faut relever le niveau avec des gens qui ne sont pas là que pour le côté performance du métier. » De retour au local après la matinée de travail, Léandre conclut sans sourciller : « Je n’exclus pas de continuer là-dedans quelques années puis de partir ailleurs quand j’estimerai en avoir fait le tour. »




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Média visé : Society


Agenda transmédia :

- Twitter et Facebook : publication d’une interview de Sophie Denave (sociologue) pour mettre en perspective le phénomène de reconversion professionnelle des jeunes diplômés. Publication d’une interview de Loïc Gourbrein pour faire un focus sur le métier d’élagueur et ses tendances.

- Instagram : publication des photos du reportage (présentes ou pas dans l’article) avec leur contexte

- Facebook et Instagram : publication d’un portrait de Léandre pour présenter le personnage principal


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