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Dans les pas des maraudeurs à Versailles, au secours des oubliés du couvre-feu

REPORTAGE. Tous âges confondus, des bénévoles de la Croix-Rouge et de l’Ordre de Malte se mobilisent plusieurs soirs par semaine dans les rues de Versailles et ses alentours. Avec la crise sanitaire, encore plus particulièrement pendant ce troisième confinement, ils redoublent d’efforts afin d’apporter nourriture, produits d’hygiène aux sans-domicile fixe.


« On a bien les couvertures ? On va ajouter des tablettes de chocolat. » Un lundi soir du mois d'avril, trois bénévoles de la Croix-Rouge s'affairent à charger le camion de l’association. A l’Unité locale de la Croix-Rouge de Versailles, au 17 rue Berthier, Rafik, 29 ans, chef d’équipe, fait le point avant de partir en maraude. Animateur dans un centre de loisirs, il est bénévole à la Croix-Rouge depuis quatre ans. « Chaque maraude est différente. On aide comme on peut ». Ce lundi soir, Corinne et Hélène l’accompagnent. Malgré leur différence d’âge, 66 ans et 32 ans, elles sont animées par la même flamme : être au service des plus vulnérables. Vêtues de leurs gilets orange, les deux femmes écoutent attentivement les consignes de sécurité du chef d’équipe. « On ne se sépare pas, on garde nos distances. » Avec ce troisième confinement et le couvre-feu, les maraudes nocturnes sont plus essentielles que jamais.


Les sans abri n'ont pas disparu avec le coronavirus


Contrairement aux idées reçues, la cité royale des Yvelines n’est pas épargnée par la pauvreté. « Nec pluribus impar» (À nul autre pareil), la devise du Roi-Soleil  caractérise la situation particulière des sans-abri à Versailles. A la lumière du jour, ils disparaissent des rues, mais le soir les maraudeurs en rencontre des dizaines. Après avoir mendié dans la capitale, où les passants sont plus nombreux, leur refuge est la Ville du Roi-Soleil. La crise du Covid-19 crée un isolement supplémentaire pour les SDF, qui s'accentue de confinement en confinement. Selon le directeur de la Croix-Rouge à Versailles, Michel Renaud, « Le soutien des restaurateurs et des commerces de bouche était exceptionnel à Versailles avant la crise sanitaire. Les dons de nourriture étaient réguliers, beaucoup de sans-abri avaient leurs habitudes. Depuis la fermeture de ces lieux avec les confinements successifs, se nourrir est un combat sans répit pour les plus démunis, les denrées alimentaires sont pratiquement inaccessibles en ce troisième confinement. » Selon l'Observatoire des inégalités, il y a 5,3 millions de pauvres en France. Cependant, les données statistiques ne comptabilisent pas ceux qui vivent dans le plus grand dénuement, notamment les sans-abri, car ils n'existent pas fiscalement. En 2012, l’Insee indique le nombre de « 143 000 personnes utilisant les services d’hébergement d’urgence. Parmi elles, plus de 10 000 personnes dorment dans la rue. » Loin des aprioris, le journal La Croix a découvert une facette de Versailles pleine d'humanité, où des volontaires sont présents chaque soir dans les rues.


Trois bénévoles de la Croix-Rouge en maraude, au centre hospitalier de Versailles André Mignot. Crédits : S.G.D


Chaque maraude débute pas un coup de téléphone au 115. Avant de sillonner les rues vides de la ville, Corinne contacte donc le centre de régulation des Yvelines, qui répartit les maraudeurs en fonction des besoins. Au bout du fil, Sébastien, le permanencier, oriente les bénévoles sur leur première mission du soir. Kadio, 40 ans, d’origine sénégalaise, les attend à la gare de Versailles-Chantiers. Depuis plusieurs jours, il dort dans le hall. L’homme casque sur les oreilles somnole sur un banc. Il a appelé le 115 car ce soir il ne veut plus dormir dans la rue. Ce troisième confinement a anéanti ses derniers espoirs de s'en sortir tout seul par lui-même. Corinne le rassure : il y a une place pour lui au centre d'hébergement d'urgence Les Mortemets, à Versailles.


 "Le souci des sans-abri aujourd’hui ce n’est pas le coronavirus, mais le logement en cet énième confinement ."

Sac à dos à la main, il se lève péniblement. Il n’a rien mangé depuis hier soir. Rafik lui propose une soupe pour se réchauffer et un café sucré. Kadio tergiverse : « Ai-je le temps ? Je ne veux pas perdre ma place au centre. » Les bénévoles le tranquillisent, il finit par les suivre jusqu’au véhicule, garé en contre bas de la gare. Entre temps, deux autres personnes SDF ont aperçu les gilets orange et patientent devant le camion, au pied de l'escalator de la gare. Patrick, un habitué et Beatrice, une nouvelle se toisent pendant que les bénévoles préparent les boissons chaudes. Puis, malgré sa timidité, Hélène essaie de lancer une discussion, tandis que Rafik et Corinne cherchent dans les stocks les envies de chacun.


Patrick, toujours propre sur lui, a la même dégaine que Bob Marley. Il ne se mélange pas aux autres sans-abri et se méfie d’eux. « Dormir aux Mortemets, c’est pire que la rue. Il y a des vols, des agressions dans ce centre », et ajoute « J’ai un endroit pour dormir, mais il est secret. Je ne veux pas me le faire piquer.» Ils sont nombreux comme Patrick à se cacher et à ne pas dévoiler leur seul coin d’intimité. Être bénévole en maraude, c'est avant tout être une oreille attentive, sans pour autant forcer la parole. En pleine crise sanitaire, Rafik estime que le coronavirus n’est pas le premier souci des sans-abri. Leur demande principale, c’est d’être logé pour la nuit. Cette préoccupation demeure de confinement en confinement. « La journée, les invisibles de la rue essaient de se fondre dans les lieux publics. Si on est propre et bien habillé, c’est plus facile », confie le jeune bénévole.



Rafik et Corinne, deux bénévoles de la Croix-Rouge servent des soupes et cafés aux sans-abri, à la gare de Versailles-Chantiers. Crédits : SGD


Quant à Béatrice une sans-abri de 50 ans, cigarette à la bouche, elle se présente l'œil hagard aux bénévoles. Cheveux grisonnants et yeux cernés, elle refuse la nourriture proposée. Corinne tente d’engager la conversation, mais cette dernière se renferme. « Ma vie ne vous regarde pas », déclare Béatrice visiblement agacée. « Je veux seulement un logement pour la nuit », répète-t-elle. Les bénévoles n’insistent pas. La règle d’or du bénévole est stricte : « On ne s’impose pas ». Ce lundi soir, Béatrice veut éviter une nouvelle nuit dehors. Au téléphone, le 115 indique à Corinne qu’il y a une place pour elle, à Port-Marly, à une dizaine de kilomètres de Versailles. Un hôtel qui accueille en majorité des familles de migrants, met à disposition une chambre pour les femmes sans-abri. Les possibilités d’hébergements pour les femmes sont rares, selon la Croix-Rouge. Or, les bénévoles rencontrent de plus en plus de femmes démunies dans les rues de Versailles et les communes limitrophes. Cette évolution inquiète énormément Corinne. « La rue, pour les femmes, c’est le lieu de tous les dangers. Très isolées, elles se cachent du regard des autres, surtout pour éviter les agressions. »


Après une collation, les sans-abri sont de nouveau livrés à eux-mêmes. Toujours en ce troisième confinement, la Croix-Rouge n’a pas l’autorisation de transporter les sans-abri jusqu’aux centres d’hébergement, en raison des mesures sanitaires. Ce lundi, Kadio et Beatrice doivent donc s’y rendre par leurs propres moyens, à pieds ou en bus. Une difficulté supplémentaire liée au coronavirus. Le lendemain, ils devront libérer leur lit à 9h. A 21h, il faut déjà quitter la gare des Chantiers, direction l’hôpital Mignot, seconde mission pour l'équipe de la Croix-Rouge. Gabriel, âgé de 22 ans les attend impatiemment à l’entrée. « C’est le meilleur moment de la journée », déclare ce sans-abri. Malade depuis cinq ans, il semble déjà usé par la vie. La soupe au bœuf offerte par les maraudeurs fume entre ses mains. Un répit pour discuter.


Être au service des plus démunis en temps de Covid-19


Depuis le début de la crise sanitaire, les maraudes nocturnes en semaine n'ont pas cessé et pallient à la disparition partielle du soutien de certains Versaillais. En complément de la Croix-Rouge, un véhicule de l’Ordre de Malte maraude deux fois par semaine. Tout au long de la soirée, les bénévoles jettent des coups d’œil furtifs aux quelques personnes qui arpentent les rues après l’heure du couvre-feu. « On ne sait jamais, on peut apercevoir une personne en grande difficulté, qui n’a pas appelé le 115. Quand on est dans la rue, on a toujours besoin de quelque chose, même si ce n'est qu'une discussion, ça permet de réaliser un suivi », décrypte un bénévole. Malgré les nouvelles places débloquées par le Samu depuis le début de la pandémie, le constat des associations est sans appel: « Il y a eu moins de monde dans les rues le soir, mais ce n'est pas pour autant une bonne nouvelle. Les sans-abri ne disparaissent pas comme par magie. »











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