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  • Maxime Trédan

« Vous n'êtes pas les seuls à morfler ! » : dans le Lot l'épidémie renforce le sentiment de solitude

Dernière mise à jour : 23 avr. 2021

Alors que l’épidémie de Covid-19 sévit depuis plus d’un an, coup de projecteur sur ces Français de la campagne qui, malgré la proximité immédiate de la nature et des grands espaces, souffrent tout autant que les autres des conséquences de la crise, notamment sur leurs relations sociales, souvent au point mort. A Marcilhac-sur-Célé et Lacapelle-Marival, la fermeture des cafés, l'annulation des lotos et l'absence de fêtes populaires participent à renforcer la solitude des habitants.



Malgré le beau temps, les ruelles de Marcilhac-sur-Célé sont vides. Les touristes n'ont pas fait le déplacement durant ces vacances de printemps./Photo DDM. Maxime Trédan.

La route serpente au gré des virages offerts par la rivière. Sur l’asphalte peu entretenue, les freinages sont incessants afin d’anticiper les boucles franches qui se succèdent avant d’atteindre sa destination. Au creux de la vallée du Célé, le petit village de Marcilhac, dans le département du Lot, semble posé-là depuis des siècles. En témoigne les ruines de l’abbaye Saint-Pierre qui fait figure de centre historique de la commune. À l’entrée du bourg d'environ 200 habitants - selon le dernier recensement - une enseigne rouge carmin indique l’emplacement d’un café. Nathalie, une grande dame brune et assez svelte, âgée d’une cinquantaine d’années, balaye le mince trottoir qui longe l’établissement, où s’entasse des chaises en PVC blanches. Il est 9 heures du matin, l’heure à laquelle, un dimanche comme celui-ci, les conversations s’emballent d'ordinaire autour duTop 14 - le championnat de France de rugby - ou des dernières actualités locales. Mais ce dimanche-là, rien ne semble pouvoir troubler le silence des falaises qui surplombent le village de part et d’autre. Pas même le vrombissement du percolateur qui fait grise mine, abandonné derrière un comptoir en bois.


Vous, à Paris...


« Je viens tous les matins pour faire un faire tour, passer un coup de balai comme si je préparais l'ouverture. Ça me donne une bonne raison de me lever » explique Nathalie, qui a repris l’affaire familiale depuis près de deux ans. « Jamais je n’aurais cru vivre ça, voir ce bar vide alors que mes parents et mes grands-parents avant eux n’ont jamais cessé d’y entretenir une certaine ambiance qui nous est chère » déplore-t-elle, le regard embué face aux tables empilées les unes sur les autres dans la salle où, autrefois le dimanche, on servait le coq au vin ou la tête de veau après la messe. Premier réflexe, alors que la conversation s’entame, proposer un café ou une tasse de thé, pour retrouver ces gestes perdus depuis l’automne, et le durcissement des mesures sanitaires face au Covid-19.



Au cœur du bourg de Marcilhac, les ruines de l'abbaye Saint-Pierre font office de repère pour tous les habitants./Photo DDM. Maxime Trédan.

Dans l’embrasure de la porte d’entrée se dessine la frêle silhouette de monsieur le maire, attiré par cette présence étrangère auprès de la gérante du café. « Vous venez racheter le local finalement ? » interpelle l'édile, sur un ton moqueur. Le rendez-vous était fixé là, sur la place du village, au matin. Un dialogue à trois s’opère automatiquement avec Nathalie. « Vous, à Paris, vous avez l’impression d’être les plus embêtés par tout ce qui se passe, mais nous ici on morfle aussi, dit-il. Je ne sors plus que pour ma ronde quotidienne et le conseil municipal tous les deux mois » explique Jean-Paul Mignat, réélu en mai dernier, après un premier mandat effectué de 1995 à 2004.


« Avec toutes ces conneries,

nos anciens n'ont plus de raison de sortir de chez eux ! »



« Et t’as des nouvelles de madame Raffy ? » lance soudain Nathalie à l’élu, coupant court à la conversation. Cette dame impotente âgée de plus de 80 ans habite une petite maison de style quercynois en sortant de la commune, sur la route qui mène à Cajarc. Veuve depuis quelques mois à peine, elle n’a pas d’enfants pour s’occuper d’elle et ne sort plus. En plus de l’aide-ménagère, certains habitants se relaient pour lui tenir compagnie ou lui apporter quelques commissions achetées à l’épicerie du village. « On en a plusieurs comme ça qui se terrent chez eux et ne mettent le nez dehors que pour s’occuper du jardin, raconte monsieur le maire. Déjà qu’ils ne sortaient pas beaucoup, avec ces conneries, nos anciens n’ont plus de raison de partir de chez eux, si ce n’est pour acheter le pain et le journal, le matin... »


Tuba abandonné


Sur le causse, à une trentaine de kilomètres de là, à Lacapelle-Marival, on s’active un peu plus au pied du château qui surplombe tous les imposants bâtiments qui constitue le petit centre-ville. Les allées et venue s’enchaînent dans la petite supérette attenante au parking. Avec ses 1200 habitants, le village est l’une des quinze communes les plus peuplées du Lot. Un petit pôle économique dopé par la présence des usines d’aéronautiques de Figeac et d’agro-alimentaires du Nord du département.


La petite supérette du centre-ville de Lacapelle fait office de seul lieu de rencontre pour les habitants./Photo DDM. Maxime Trédan.


Dans un petit appartement qui donne sur la maison de retraite vit Lucien. Il a 28 ans et travaille comme couvreur dans une entreprise du coin. « Et c’est tout » assène-t-il. C’est tout ? Célibataire, Lucien ne vit que pour le rugby - dont il est privé depuis l’arrêt des compétitions de niveau amateur - les copains - qu’il ne peut plus aller voir à Cahors, Toulouse ou même Figeac - et la musique. Non, Lucien ne joue pas de la guitare. Il ne chante pas non plus. Son truc à lui, c’est le tuba. L’imposant instrument baptisé Maurice trône au milieu de la pièce à vivre, comme une relique nette de toute poussière.

« C’est difficile d’obtenir une avance pour cet été »

Le jeune homme est membre d’une banda, ces fanfares typiques du Sud-Ouest de la France qui animent les corridas, fêtes de village et autres réjouissances qui s’enchaînent aux beaux jours. Avec leurs sonorités festives et leurs airs populaires, ils font danser tout l’été touristes et habitants, jouant et chantant parfois debout sur des tables ou sur les comptoirs d’une buvette. « L’été dernier on a joué de temps en temps, dans les quelques fêtes maintenues par les comités, mais c’était pas comme avant, râle-t-il. Là on reçoit quelques appels pour nous booker d’ici le mois de juillet ou d’août. Mais c’est difficile d’obtenir une avance, vu l’incertitude. » Si Lucien joue par passion, c’est aussi un bon moyen de se faire « des ronds » pour partir au bord de la mer avec ses potes en septembre.

Il compte beaucoup cette année sur les bodégas, les grandes fêtes de Lacapelle-Marival organisées chaque année, autour de l’Assomption. Elles réunissent des milliers de participants prêts à tous les excès pour oublier, l’espace d'une semaine, les tracas du restant de l’année. « J’ai vu le maire l’autre jour, il n’a pas l’air très optimiste. Pas sûr que la pref’ accepte un tel rassemblement. Je suis pas prêt de ressortir Maurice. »


C'est du service public


Retour dans le petit village de Marcilhac-sur-Célé, au cabinet du docteur Dylla, un médecin généraliste allemand qui s’est installé dans la vallée il y a deux ans. Tombé amoureux de la région à l’approche de la retraite, « le doc’ » ne retournerait dans sa Bavière natale pour rien au monde. « Je venais souvent en vacances ici, j’hésitais à sauter le pas, raconte-t-il avec son accent teuton à couper au couteau. J’aime mon métier et il y avait un fort besoin médical dans la région. »

« Je les écoute surtout,

mais pas plus d’un quart d’heure ! »

Il en a reçu du monde dans son cabinet, pendant les confinements successifs, « surtout le premier » : « le moindre petit bobo était une bonne excuse pour venir me voir. Je me suis transformé en psy, beaucoup avaient besoin de parler. » Le manque de contact était flagrant pour certains, selon le praticien. « Vous savez, quand on vit seul, enfermé chez soi, sans personne à qui parler, y’a de quoi devenir fou, ou dépressif. Souvent les deux » déplore le docteur Dylla, accoudé derrière son grand bureau en chêne massif, « fabriqué par un copain menuisier », précise-t-il fièrement.

« Avant, les gens allaient au café pour parler. Maintenant, ils viennent me voir. On ne parle pas rugby, ni politique. Je les écoute surtout, c’est du vrai service public, mais pas plus d’un quart d’heure. C’est que j’ai du monde à voir chaque jour, sans compter les visites à domicile ! » raconte le docteur allemand, dont le diplôme rédigé dans la langue de Goethe est inratable derrière son fauteuil en cuir sur roulettes.

Paniers garnis périmés


A Lacapelle-Marival, dans le petit local des associations de la commune, un vieux monsieur tapote sur un vieil ordinateur qui semble faire le bruit d’un moteur de voiture ancienne. René organise des lotos-quines depuis plusieurs années à Lacapelle et dans tous les villages alentours. « Je connais par cœur toutes les salles des fêtes du département » dit-il fièrement, ses petits yeux rieurs laissant imaginer un large sourire derrière son masque. Depuis l’automne dernier, il n’a pas pu organiser la moindre partie avec les 300 membres de son club du Ségala. Le bruit des petites boules dans la cage ronde en métal lui semble lointain, tout comme les « BINGO » qui résonnent de temps à autres, aussitôt suivi des protestations des autres participants.


Tous les locaux commerciaux sont abandonnés dans les ruelles de Lacapelle-Marival, sauf pour celui qui regroupe certaines associations locales./Photo DDM. Maxime Trédan.

« J’ai déjà reçu le projet d’affiche pour notre loto du 30 mai, mais je ne vais pas tout de suite les envoyer à l’imprimeur. J’ai déjà jeté trop de papier avec ce foutu coronavirus » s'agace René, en tournant sa cuillère dans une tasse vide posée près de son ordinateur, dont le ventilateur semble à bout de souffle. « Vous savez ce qui m’a fait le plus mal au cœur ? C’est de mettre tous ces paniers garnis à la poubelle. J’ai bien essayé de refiler quelques confitures et boîtes de pâté à droite à gauche avant le confinement, raconte l’organisateur de bingo [bénévole, il insiste, ndlr] Mais tout ce qui était périssable a dû y passer. Même enfermé chez moi, je n’allais pas tout bouffer quand même, hein ? » C’est décidé à présent, l’association investira désormais dans des lots non-alimentaires, de la batterie portable au thermos en passant par la glacière de voyage.





Agenda trans-médias :


  • Partage de l'article sur l'ensemble des réseaux sociaux du journal (Facebook, Twitter, Instagram) avec, pour chaque occurence, une citation tiré du reportage.

  • Publication sur Instagram d'un diaporama avec les photos prises sur place.

  • Dans l'idéal, réalisation d'un court entretien vidéo avec le docteur Dylla dans son cabinet ainsi qu'avec Lucien et ses collègues de la banda à l'Å“uvre pour une petite pastille musicale.


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