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  • Julien Ruffet

Les fermiers urbains à la conquête de l'est (parisien)

Dernière mise à jour : 8 avr. 2022

Les parkings parisiens, nouveau terrain de jeu des ''Parisculteurs"


Paris compte près de 80 fermes urbaines. Mêlant différents systèmes de culture innovants afin de réduire les consommations d’eau, elle n’en sont pas moins énergivores et pas forcément pérennes. Enquête dans les coulisses de ces nouvelles cultures.

Sur le toit du pavillon 6 du parc des expositions de Porte de Versailles s'est installée Nature Urbaine. Une ferme urbaine de 14 000 mètres carrés / Julien Ruffet

Paris, XVIIIe arrondissement. Alors que tombe une légère bruine en cette fraîche matinée de mars, trois hommes sortent d’un parking au volant d’un transpalette sur lequel s’empilent des caisses de champignons. Shiitakés, pleurotes et champignons de Paris, à en faire chavirer l’engin. Les trois hommes plaisantent puis chargent leur marchandise dans un grand camion. La manipulation est rapide, presque robotique… Une fois récupérée, la cargaison disparaît dans la circulation.

Les trois tournent les talons. Puis s’engouffrent dans le souterrain, creusé sous trois immenses barres d’habitation. « Cette résidence héberge au-delà de 1 000 personnes. Le parking, avec ces 9 900 m², est le plus grand du XVIIIe », confie l’un d'entre eux, Jean-Noël Gertz. Bonnet vissé sur la tête, Jean-Noël n'est autre que le fondateur de La Caverne, du nom de cette ferme urbaine située dans ce parking depuis 2018.


Une pousse de pleurote dans le parking de La Carverne / Julien Ruffet

La spécialité de la maison : la production de champignons et d’endives. « Ces parkings étaient livrés au trafic de drogue et à la prostitution. La mairie de Paris a souhaité s’attaquer au problème, notamment en vue des Jeux olympiques », confie-t-il.




Les Parisculteurs

C’est en 2016 que la maire de Paris lance « les Parisculteurs », un projet visant à mobiliser du foncier sur son territoire afin de le végétaliser et favoriser l’agriculture urbaine. Jean-Noël Gertz, qui cultive alors des champignons dans un ancien bunker alsacien, à Strasbourg, répond à l'appel d'offre parisien et remporte le contrat. L’initiative est une aubaine pour le bailleur social, ICF La Sablière, qui ne parvient plus à payer le loyer de l’imposant parking.

Un salarié de La Caverne en train de semer des racines d'endives / Julien Ruffet

Ce nouveau type d’agriculture répond avant tout à un nouvel enjeu, bien connu des ruraux : la difficulté d’accès à des terres cultivables en province du fait de l’augmentation du foncier - plus 5,5% en 2020 dans les zones de grandes cultures. Mais dans le cas de La Caverne, l’initiative a une deuxième vertu : permettre à la ville de relocaliser une production de champignons de Paris dans la capitale, dynamiser un quartier en créant des emplois et se rapprocher des consommateurs finaux avec des produits locaux.


Tout ça, les entrepreneurs du secteur l’ont bien compris. On dénombre près de 80 de ces nouvelles fermes dans la capitale. Les néo-agriculteurs profitent directement de l’essor du local, qui concurrence de plus en plus le marché du bio. Surtout que la crise sanitaire a fini de changer les habitudes de consommation des Français. Désormais, 86% d’entre eux privilégient le local, selon France Info publié. Le bio, quant à lui, est en perte de vitesse. La part de ceux qui en consomment régulièrement est passée de 21 à 16%, précise ce même article.

Une gouttière où pousse des plantes aromatique à Nature Urbaine / Julien Ruffet

Consciente de ces évolutions sociétales, La Caverne arrose large. Tous les produits qui sortent du parking, locaux et bio, sont vendus à des intermédiaires du secteur : des Biocoop, des restaurateurs et la Coopérative Bio d’Île-de-France qui approvisionne les cantines scolaires. Même constat à Nature Urbaine, la plus grande ferme urbaine au monde, qui s’étend sur 14 000 mètres carrés sur le toit du pavillon 6 du parc des expositions de Porte de Versailles. « Nous cultivons une trentaine de fruits, légumes et herbes, et les commercialisons à des hôtels et restaurants à proximité. Cela nous permet de faire nos récoltes lorsque les produits sont mûrs. Il n’y a d’ailleurs que trois heures entre la cueillette et la consommation ! », s’exclame Sophie Hardy, la directrice du site.


Une fonction éducative et sociale

Pour Laurent Recapé, l'adjoint au Maire (LR) du XVe, chargé de la végétation, de l’espace public, de la nature et de la condition animale, ce modèle de culture innovante n’a rien à voir avec un phénomène de mode : « C’est une nécessité tant sociale qu’économique. Nous l’avons vu avec les ruches sur les toits de Paris. » Cet essor est aussi la conséquence du grignotage des terres agricoles, menacées par le développement de la ville et donc de l’éloignement des cultures des centres-villes.


Véronique Saint-Gès, chercheuse à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) précise que l’agriculture urbaine peut également avoir une fonction éducative. « Une part de notre activité est basée sur la pédagogie avec des visites, des ateliers et la location de potagers », énumère de son côté Sophie Hardy de Nature Urbaine. Ces derniers, permettent à des citadins de différentes tranches d’âge de comprendre comment fonctionne une ferme. Jean-Noël Gertz, qui s’occupe des visites à La Caverne, s’étonne quant à lui de l’impact qu’elles peuvent avoir... « En expliquant comment nous cultivons certains légumes, les visiteurs comprennent l’impact de la saisonnalité. Cela peut même faire évoluer leur mode d’alimentation, ce n’est pas rien », souligne-t-il.


« Ces fermes vont donc permettre aux citadins de comprendre le rôle alimentaire des agriculteurs. Avec ces visites, elles vont aussi dynamiser le lien social tout en ayant un impact sur la santé des consommateurs, par la provenance locale des produits », souffle Véronique Saint-Gès.


Multiplier les activités pour atteindre la rentabilité

Un local de La Caverne loué à une entreprise qui cultive des micro-pousses / Julien Ruffet

En outre, côté finance, les agriculteurs urbains doivent souvent multiplier les activités pour rentrer dans leurs frais. À La Caverne, pour s’approcher de la rentabilité et rembourser les milliers d’euros d’investissement, des espaces sont sous-loués à des entreprises. Cela va de la culture d’herbes aromatiques aux locaux de stockage pour des entreprises. « Avec la sous-location, nous ne sommes plus uniquement des agriculteurs, mais également des gestionnaires de patrimoine », pèse Jean-Noël Gertz.


Pour le gérant, cette activité correspond notamment au prix du foncier… « A la campagne, un hectare coûte environ 500 euros par an, ici, c’est plutôt autour des 50 000 euros par an », grince-t-il sans s'avancer sur les gains de cette seconde activité. Mais du côté des coûts de vente de ses produits, la ferme aussi se différencie. Ainsi, le prix de l’endive se situe en moyenne en France autour de 3 euros le kilo. La Caverne, elle, les commercialise entre 3 et 5 euros le kilo. Même chose pour les champignons shiitakés, un produit à forte valeur ajoutée, qu’elle vend 20 euros le kilo, contre 10 euros le kilo en moyenne sur le marché français. Mêlé à son activité de sous-location, l’entreprise signe un chiffre d’affaires entre 500 000 et un million d’euros en 2020, avec 15 salariés dont 80% en CDI.

Le toit du pavillon 6 du parc des expositions de porte de Versailles exploité par Nature Urbaine / Julien Ruffet

Même procédé chez Nature Urbaine. « Nous faisons du maraîchage, de la pédagogie et de l’évènementiel avec la location d’une salle », égrène Sophie Hardy. Sur le toit d’un hall de porte de Versailles offrant une vue sur la tour Montparnasse, La salle est louée au maximum, confie-t-elle, même si la Covid a entaché ce profit. « Nous la louons 4 000 euros la journée cinq à dix fois par mois », annonce-t-elle, soit un revenu variable entre 20 000 et 40 000 euros.


Côté culture, l’agriculture urbaine se dirige aussi vers des produits à forte valeur ajoutée, notamment des fraises lorsque la saison le permet. Elles sont vendues 16 euros le kilo contre une dizaine d’euros en moyenne au marché de Rungis. Mais contrairement à ce dernier, les prix proposés par Nature Urbaine « « ne varient pas en fonction du cours des fruits et légumes», ajoute Sophie Hardy. Si la mairie est propriétaire du terrain, le bailleur, Viparis, a exonéré la société des loyers le temps de la crise. Avec trois salariés en CDI et des saisonniers lors des récoltes, l’entreprise a signé un chiffre d’affaires de 400 000 euros en 2020.


Beaucoup de contraintes

Mais, hélas, tous les acteurs du secteur ne s’en sortent pas aussi bien. « Il faut qu’il y ait une opération vérité sur les volumes de production des fermes urbaines en France. […] On dit par exemple qu’on produit du houblon à Paris, mais combien de tonnes ? Il faut arrêter de laisser croire aux gens que faire pousser des salades ou des fraises, c’est très facile à faire », fustige Jean-Claude Guehennec, maraîcher dans les Yvelines et président de l’Union des producteurs de produits des fruits et légumes d’Île-de-France, dans un article du Figaro début 2020. Notons qu’elle restera une activité complémentaire à l’agriculture traditionnelle, car sa capacité nourricière tant au niveau du rendement que des variétés de fruits et légumes reste limitée.


« On remarque parfois de mauvais rendements, surtout chez des agriculteurs urbains qui ne sont pas agriculteurs à l’origine. Il faut un moment pour comprendre un terrain. Les plantes ne sont pas des machines ! », affirme Véronique Saint-Gès, chercheure à l’INRAE. Est-ce le cas d’Agricool ? Start-up pionnière du secteur, avec 35 millions d’euros de levée depuis sa fondation en 2015, elle annonce début 2022 son placement en redressement judiciaire. Sa spécialité ? Faire pousser des fraises et des herbes en circuit court toutes l’année dans des conteneurs grâce à l’aéroponie, une technique qui vise à économiser l’eau.


Contactée, l’entreprise n’a pas donné suite à nos demandes. Interviewé par Marianne (lien), l’un des investisseurs historique pointait QUAND ? la fragilité du modèle économique après 7,2 millions d’euros de pertes. Son cofondateur, Guillaume Fourdinier, s’en défendait sur LinkedIn dans la foulée : « Agricool est entré dans une phase de redressement judiciaire, à la suite de l’échec d’une levée de fonds. […] Depuis quelques jours, certains médias relaient la situation d'Agricool, en la commentant avec des sentiments, projections ou intuitions sur les origines de nos difficultés. […] Certaines informations ne correspondent pas vraiment à la réalité. »

Des endives à La Caverne avant la récolte / Julien Ruffet

Souvent pointés comme énergivores, ces modes de productions s’appuyant sur des techniques innovantes comme l’aéroponie, l’aquaponie ou encore l’hydroponie peuvent se montrer au contraire très économes, coupe Jean-Noël Gertz. Les endiveries traditionnelles consomment en moyenne 590 kilowatts à l’heure par tonne. C’est moitié moins que dans le parking du XVIIIe, grâce à un sous-sol frais et à une température peu variable.


Dans notre modèle actuel, entre 40 et 50% des fruits et légumes viendrait de l’étranger affirme Libération (lien) . Alors face à la demande énergétique des nouvelles cultures en environnement artificiel, certains appellent au mea-culpa. « la consommation énergétique de ces systèmes compense peut-être d’aller chercher des tomates au sud du Maroc. Mais ça, c’est impossible à calculer », ajoute Véronique Saint-Gès. Ces initiatives sont donc utiles dans les villes ou les cultures se font rares. Encore amenées à se développer, elles présentent de nombreuses qualités et visent, pour le moment, à se positionner en complément de l’agriculture traditionnelle.

Le logo "La Caverne" au troisième sous-sol du parking / Julien Ruffet

Julien Ruffet

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