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  • Tiana Soares

IDfix, le "batman" français du graffiti

"Je trouve ça marrant ce qu’il fait. Ça interroge."






(Tag d’IDfix et de son crew «Von», rue de l’Aqueduc, dans le Xe arrondissement de Paris.

Jeudi 31 mars 2022.

Crédits : Tiana Soares.)





Depuis neuf ans, le tagueur IDfix marque de sa patte les murs de Paris et d’ailleurs. Insaisissable pour les autorités, inspirant pour les fans, enquiquinant pour les riverains, Street Press est parti sur les traces du graffeur.




Mardi 29 février 2022, Paris. La Mairie lance un nouveau plan anti-tag. «Nous voulons vraiment mettre un coup d’arrêt à ces habitudes très narcissiques qui constituent à signer tous les quatre mètres (…) La dégradation visuelle dans une ville participe au sentiment d’insécurité», déclare Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo, lors d’une conférence de presse. Le projet ? Augmenter les budgets des équipes de nettoyage. Chaque jour, ces entreprises sont sollicitées pour effacer les graffs des plus célèbres auteurs de tags de la capitale. Parmi eux : DAG, DION, Kebla… Et, le très actif IDfix.


Dans les Xème et XVIIIème arrondissements de Paris, sa signature est presque à chaque coin de rue. «Je respecte beaucoup son taff’, ça se voit qu’il a de l’expérience et que c’est un professionnel», confie Renato. N, un ancien graffeur devenu tatoueur. Une opinion partagée par Mathieu Tremblin, docteur en arts visuels à l’Université de Strasbourg. «Son tag, c’est du tracé direct et c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire dans le graff. Il n’y a pas d’esquisse (…) Il sait très bien ce qu’il fait, on voit qu’il a une vraie connaissance de l’histoire du graffiti


Comme tout artiste, IDfix fascine, mais aussi divise. “On a subi de grosses séries de tags de ce graffeur”, déplore Loïc Guézo, le président de l’association de riverains Demain La Chapelle, qui œuvre, depuis 2015, pour l’amélioration du cadre de vie du quartier éponyme. «Cest moche, ça ne sert à rien, et c’est irrespectueux pour les commerçants et les habitants qui doivent nettoyer ses tags au quotidien», s’agace Julie., une étudiante habitant à côté du métro. «Moi, je trouve ça marrant ce qu’il fait. Ça interroge. On se demande vraiment qui est ce type. C’est un peu le Batman du graffiti», s’amuse Thomas, un jeune résident du Xème arrondissement de Paris. Car depuis plus de dix ans, le masque d’IDfix n’est toujours pas tombé. D’après une source policière, une enquête serait en cours, malgré la disparition de la légendaire cellule anti-graffitis de la Gare du Nord, déplacée, depuis quelques années, Gare de Lyon.


Un tagueur strasbourgeois


La polémique autour d’IDfix n’est pas neuve, et dépasse les frontières de la capitale. Le 24 mars 2013, le journaliste Nicolas Hecquet signe une tribune - publiée par le média Rue89 - contre un mystérieux tagueur strasbourgeois. Au fil des lignes, le rédacteur s’insurge contre les nombreux graffs d’un certain IDfix, et notamment contre celui qui a été réalisé sur la porte d’entrée de son immeuble. «Voilà peut-être un peu plus d’un an que j’ai aperçu pour la première fois le tag. Je ne sais plus exactement quand et où. Évidemment, mon cerveau, après l’avoir remarqué, s’est sans doute empressé de l’oublier. Car on ne peut pas dire que le tag «IDfix», sous l’expression d’un entêtement abruti par l’atrophie du langage «sms-kikoo-lol», brille par l’ingéniosité de sa calligraphie.»


Rapidement, la tribune suscite de nombreuses réactions. Certains prennent la défense du tagueur, à grand renfort de commentaires véhéments sous l’article. «Le graff fait partie de l’histoire de l’art et c’est même le mouvement le plus marquant de la fin du XXème siècle alors arrête de le dénigrer et va lire des bouquins sur ce mouvement », s’emporte “Nino”. De son côté, «Royston» soutient le graffeur, en évoquant… son âge. «IDfix est jeune, très jeune.» Un argument qui sera également utilisé par un autre internaute. À l’époque, la vox populi donne au tagueur, une vingtaine d'années, tout au plus…


Les toits de Paris, nouveau terrain de jeu d’IDfix


Les premiers tags IDfix réalisés à Paris ont été publiés sur Instagram au cours de l’année 2018. Sur les réseaux sociaux, le scénario se répète : certains collectionnent les photographies des tags quand d’autres condamnent les actes du graffeur sur Twitter. «IDfix, dit le plus mauvais graffeur du monde, a salopé des centaines de lieux dans les quartiers pops parisiens. Paris laisse faire. Cette fois-ci, ce sont les Soleils du Théâtre des Abbesses qui sont vandalisés», écrit un certain "JDSE".




(Tag IDfix sur les Soleils du théâtre des Abbesses. Jeudi 31 mars 2022. Crédits : Tiana Soares)



Dans son travail de préservation du quartier la Chapelle, Loïc Guézo est devenu, malgré lui, un spécialiste des graffitis IDfixiens. «Il en fait partout, sur des zones très accessibles, des murs, des panneaux publicitaires ou encore des rideaux métalliques de commerces, mais aussi sur des endroits très difficiles, voire impossibles d’accès, pour les équipes de nettoyage : les toits, les frontons d’immeubles.» Au-dessus de quatre mètres de haut, les entreprises d’effacement, embauchées par la mairie de Paris, ne peuvent intervenir. De ce fait, les tags sont presque ineffaçables. Et sont donc pérennes dans l’espace urbain.


Pour atteindre ces hauteurs, IDfix - comme de nombreux autres tagueurs - utilise une perche équipée d’un rouleau de peinture. Pour s’attaquer à un pignon de mur, un adepte des tags parisiens - qui préfère garder l’anonymat - suggère la technique du rappel. «On apprend ça à l’escalade. On ne peut pas tous le faire. Il faut vraiment bien maîtriser le truc et avoir une bonne condition physique.» Une pratique intense qui serait réalisée de nuit… comme de jour. «Quand on voit la quantité de son taff, il ne peut pas faire ça que de nuit, il tague aussi en journée, c’est obligé. De toute façon, ça se voit que c’est un acharné», estime Renato, admiratif. Avant de se remémorer sa propre expérience : «La nuit, c’est bien de taguer parce que y’a personne dans la rue mais t’as quand même une chance sur deux de tomber sur les flics. En journée, y’a plus de monde donc c’est plus facile, finalement, de passer inaperçu


IDfix et Von : une histoire de crew


Comme de nombreux graffeurs, IDfix appartient à un crew : Von. Un nom que l’on retrouve souvent tagué aux côtés de sa signature et de celles de ses coéquipiers du graff, tels que Olaff, Phnk, Ekler, ou encore Vomito. Selon l’universitaire Mathieu Tremblin, appartenir à une bande est essentiel pour progresser dans le tag. «En équipe, on peut faire des choses plus ambitieuses. Il y a un échange de compétences au quotidien. Et puis, on peut couvrir des zones plus larges. Quand l’un dessine, l’autre fait le guet.»


Les six signatures du crew Von étaient déjà observables dans les rues de Strasbourg, en 2012. S’agit-il d’une bande de potes du lycée ? «Possible. Perso, c’est des copains de l’école qui m’ont fait rentrer dans mon crew. C’est vite devenu une famille», confie Renato. «On fait attention les uns aux autres. Si quelqu’un a un problème avec les flics, on va tout de suite l’aider et le protéger. Mettre ses affaires dans un lieu plus sûr. Même si j’ai arrêté le graff, je les vois toujours aujourd’hui. Juste pour se retrouver, boire, manger et peindre.»


IDfix ne semble, lui non plus, ne pas avoir perdu de vue son crew. Il y a quelques mois, il taguait sous le métro aérien du Boulevard de la Chapelle, à la bombe blanche, son blaze, bien sûr. Mais aussi celui de son équipe, Von.


«Il vit dans une asso’ artistique en banlieue parisienne»


IDfix a tagué des centaines de murs, façades et volets du XVIIIème arrondissement de Paris. Choisit-il son matériel - bombes de peinture et marqueurs acrylique - au Polymex International, un magasin de graff situé au cœur de tous ses tags ? «On ne connaît pas l’identité de nos clients et on ne leur demande jamais ce qu’ils font avec le matériel qu’ils achètent. C’est la règle numéro un», affirme la vendeuse, qui travaille dans le magasin depuis plus de dix ans. «Après… S’il tague souvent par ici, c’est sûrement parce qu’il habite près de la Chapelle. Il connaît bien les lieux donc ça doit être plus facile pour lui de trouver des endroits à graffer», souffle-t-elle, en scrutant des photographies de ses tags.


Contacté sur Instagram, un blogueur et amateur de tags parisiens - qui souhaite aussi garder l’anonymat - assure connaître le lieu de résidence du tagueur, et bien plus encore : son identité. «Cest un mec qui vit dans une assoartistique en banlieue parisienne. Là-bas, ils viennent tous d’écoles d’art, ils font des toiles, ils s’habillent en friperie. C’est des gens normaux, très loin de l’image des graffeurs racailles que l’on pourrait imaginer.»


Et l’homme de dévoiler le nom d’un compte Instagram qui appartiendrait au tagueur. Sur ledit profil, pas l’ombre d’une signature : uniquement des peintures, dessins, ou photographies d’expositions artistiques… Seuls indices concordants ? Une œuvre de l’artiste, repérée sur le site de l’association. Et le cliché d’un homme, au visage flouté, corde d’escalade en main, semblant prêt à graffiter un lieu abandonné.



Tiana Soares






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