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  • Elise Pontoizeau

À Paris, l’organisation des associations chamboulée par l’arrivée des réfugiés ukrainiens

« Ce qu’on vit en ce moment, c’est complètement inédit »

Recrutement en urgence, coopération renforcée, prise en charge d’enfants… Les associations d’aide aux exilés, en première ligne pour accueillir les milliers de réfugiés ukrainiens arrivés à Paris, revoient leur manière de fonctionner à l’aune de cette nouvelle crise humanitaire.


Dans le hall du centre d’hébergement de Nanterre, une coordinatrice (à droite) aidée d’une traductrice (au milieu), explique aux réfugiés ukrainiens les modalités de leur transfert vers un autre établissement en Normandie. Crédits : EP


Nanterre, jeudi 7 avril. La salle commune d’un hôtel accueillant des réfugiés ukrainiens est en effervescence. Demain, 75 des 119 personnes hébergées prendront la direction de la Normandie pour être relogées dans un autre établissement à Rouen. Devant les listes de noms affichées par les travailleurs sociaux d’Emmaüs Solidarité, gestionnaire du centre d’accueil, Ukrainiens détenteurs de la protection temporaire d’une durée de six mois renouvelables et étudiants étrangers en Ukraine se massent. Assises à une table, deux Ivoiriennes observent la scène. Leur nom n’est pas inscrit. Elles resteront dans l’établissement jusqu’au prochain départ vers les régions. Ces étudiantes en informatique et en économie venues de Kharkiv sont arrivées à Paris le 3 mars et attendent, elles aussi, d’obtenir une autorisation de séjour sur le territoire français. Ce dernier ne pourra durer qu’un mois puisqu’elles n’ont pas la nationalité ukrainienne. Une discrimination, selon les jeunes femmes, qui les révolte : « Tout ce que nous demandons c’est d’avoir les mêmes droits que les Ukrainiens parce que nous avons tous vécu la guerre ». Quelques minutes plus tard, Marie-Charlotte Lallemand, la coordinatrice du lieu, annonce : « Finalement, 42 personnes partiront demain vers Rouen ». Un changement de dernière minute dont personne ne connaît la raison...


Des situations comme celles-ci, les associations œuvrant dans le domaine du soutien aux réfugiés en vivent au quotidien. Elles font aujourd’hui face au plus important déplacement de population fuyant un conflit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. À Accueil Ukraine, un centre d’hébergement temporaire et d’orientation géré par France Terre d’Asile et situé dans le 15ème arrondissement de Paris, plus de 6000 Ukrainiens ont déjà été enregistrés. Un chiffre qu'Hélène Soupios-David, directrice plaidoyer, international et vie associative de France Terre d'Asile met en perspective : « La dernière crise que nous avons dû gérer remonte à l’été 2021, lorsque les Talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan et que nous avons dû héberger en urgence 500 Afghans ».


Réagir dans l’urgence

Pour affronter ce flux migratoire bien plus important venu d’Ukraine, France Terre d’Asile, qui, selon Hélène Soupios-David a pour habitude de travailler dans des temps beaucoup plus longs et réguliers, a fait des pieds et des mains pour trouver du personnel capable de monter en seulement quelques jours cet espace : des cadres et des travailleurs sociaux ont été détachés du siège, des intérimaires ont été embauchés mais aussi des traducteurs bénévoles. « On avait l’habitude de travailler avec des entreprises de traduction mais l'Ukrainien ne faisait absolument pas partie des langues que nous sollicitons habituellement », témoigne Hélène Soupios-David. La Fabrique de la solidarité, un dispositif de la ville de Paris appuyant les associations venant en aide aux plus démunis, se charge aujourd’hui encore du recrutement des bénévoles et de leur gestion. Confronté à la même difficulté, Emmaüs Solidarité, qui héberge et fournit une aide administrative aux nouveaux arrivants, a recensé tous les russophones et les ukrainophones travaillant au sein de sa structure avant de faire appel, lui aussi, à la Fabrique de la solidarité.


À l’instar de France Terre d’Asile, Hanaë El Bakkali n’était pas habituée à agir dans l’urgence lorsque la crise ukrainienne est survenue. La co-fondatrice du Chêne et de l’hibiscus, une association spécialisée dans le soutien psychologique aux réfugiés, pensait ne devoir être sollicitée que six mois après l’arrivée des premiers Ukrainiens. Mais la demande est déjà bien réelle : « J'ai reçu l’appel d'une femme qui consultait en Ukraine. Pour elle, trouver quelqu’un ici s’inscrivait dans la continuité de sa démarche, mais avec éventuellement une dimension psycho traumatique en plus ». Aujourd’hui, cette psychologue spécialisée dans les traumatismes liés à l’exil passe une grande partie de son temps en réunion, à échanger avec d’autres associations d’aide aux migrants sur les dispositifs à mettre en place pour la prise en charge des Ukrainiens : « L'association prend beaucoup plus de place dans ma vie ». Informer les nouveaux arrivants sur l’existence d’un accompagnement psychologique spécifique, former les familles d’accueil, créer des ateliers de dramathérapie (psychothérapie par l’utilisation des techniques théâtrales) en partenariat avec Action contre la faim… Autant de possibilités qui nécessiteront des subventions supplémentaires de la mairie de Paris qu’Hanaë El Bakkali espère recevoir.


Des spécificités à prendre en compte

En plus de se préparer à accueillir de nombreux ukrainiens, Le chêne et l’hibiscus va devoir adapter ses méthodes à ces réfugiés dont nombre sont des familles : « Beaucoup m'appellent pour me dire que leur enfant a arrêté de parler, qu’il présente des troubles… Il va falloir repenser nos accompagnements », témoigne Hanaë El Bakkali, qui avoue se sentir « un peu débordée » par la situation. France Terre d’Asile aussi doit composer avec ces nouveautés. Dans son centre d’accueil, l’association a dû créer des espaces enfants dans lesquelles interviennent des salariés de la mairie de Paris en charge normalement de l’animation dans les écoles. « Habituellement, les gens arrivent plutôt seuls ou en couple. À Accueil Ukraine, nous gérons des compositions familiales parfois multigénérationnelles ce qui complique la recherche d’hébergement », précise Hélène Soupios-David. Dans l’hôtel qu’il occupe à Nanterre, Emmaüs Solidarité essaye de maintenir au maximum les cellules familiales au moment de l’attribution des chambres. La présence de nombreux enfants oblige l’organisation de l’abbé Pierre à s’adapter. Ainsi, elle a pu faire scolariser la plupart d’entre eux et organise régulièrement des sorties dans la région parisienne avec les familles.


L’été dernier, dans cet hôtel de Nanterre, Emmaüs Solidarité avait accueilli des réfugiés afghans. © EP


Un avenir incertain

Contrairement à Emmaüs Solidarité, au Chêne et à l’hibiscus, à France Terre d’Asile ou à l’Armée du Salut, Kodiko ne reçoit pas encore d’Ukrainiens. Cette association, qui s’est donnée pour mission l’accompagnement des réfugiés vers le monde du travail, s’interroge sur l’incertitude quant à la durée du séjour des Ukrainiens en France : « Notre programme dure six mois et nous visons une insertion professionnelle sur le long terme mais arriveront-ils à se projeter en France ? Auront-ils envie de notre accompagnement ? Je ne sais pas si le conflit va durer », explique Judith Prost, chargée de sourcing dans la région Île-de-France. Emmaüs Solidarité se pose aussi ces questions. Pour son directeur, Bruno Morel, le plus compliqué dans cette crise est de ne pas avoir de visibilité : « Les Afghans que nous avons pris en charge l’été dernier n’avaient pas l’espoir de retourner dans leur pays, les Ukrainiens, si, car ils espèrent que le conflit s’arrête prochainement ». Bruno Morel ne sait pas non plus pendant combien de temps les réfugiés ukrainiens continueront d’affluer vers la France, ni même auprès de combien l’association qu’il dirige devra venir en aide.


Il peut néanmoins compter sur la forte solidarité qui existe entre les organisations de soutien aux exilés. « Ces réunions extraordinaires auxquelles on participe avec d’autres associations, c'est complètement inédit et je trouve ça génial », se réjouit Hanaë El Bakkali, la cofondatrice du Chêne et de l’hibiscus. Marie Cougoureux, responsable de la Halte humanitaire, un accueil de jour parisien géré par l’Armée du Salut, partage le même constat que sa consoeur : « Je suis arrivée dans le secteur social il y a 4 ou 5 ans. J'ai vu un domaine très rigide, qui se parle peu. Le Covid-19 a dégommé tout ça. » En d’autres mots, la crise sanitaire a obligé les associations à travailler main dans la main, et cet effort se poursuit aujourd’hui pour l’accueil des Ukrainiens.


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