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  • Maxime Trédan

Le grand gâchis du projet de réhabilitation des carrières de Gagny

UN MILLION D'EUROS AUX OUBLIETTES

Entre doublons et querelles de chapelles, comment le mille-feuilles administratif francilien a gaspillé l’argent public dans un vaste projet immobilier pensé pour redonner vie à un terrain vague de 14 hectares, près de la gare RER de Gagny.



« Ici, c'est devenu un eldorado pour promoteurs immobiliers. On se bat tous les jours », fulmine Francis Redon, l’un des dirigeants de l’association Environnement Dhuis et Marne (Endema 93) qui lutte pour la préservation de l’environnement en Seine-Saint-Denis. En effet, il suffit de flâner autour de l’une des gares qui jalonnent le parcours de la ligne E du RER pour se rendre compte de la transformation profonde des quartiers pavillonnaires de la banlieue-est. Gagny, 40 000 habitants, n'échappe pas à la règle. Il y a ici comme un air de Levallois-Perret des années 1980, époque où la ville ouvrière des Hauts-de-Seine fut peu à peu rasée pour laisser place à des immeubles résidentiels en pagaille.


Projet hors-norme

À dix minutes à pied de la gare, les anciennes carrières de gypse font figure de havre de paix. Ce terrain vague de 14 hectares, où la végétation prolifère, attire les convoitises. À l’abandon depuis les années 1950, il sert depuis de dépotoir à gravats. Il n’est pas rare de croiser dans les rues alentours, des renards ou des fouines, qui ont allègrement pris possession des lieux.


Nous sommes en 2018, et Michel Teulet, baron RPR, UMP puis LR en Seine-Saint-Denis, règne sur la ville depuis 1995. « C’était un maire bâtisseur. Il a su faire rimer transformation de la commune et gestion rigoureuse des finances publiques », explique un de ses adjoints à la mairie. Sous son mandat, on construit à tout-va. « Ça validait les permis de construire à la chaîne, on le surnommait le tueur de meulière », souffle un ex-opposant. La meulière, cette pierre typique de la région qui a servi à bâtir tant de pavillons plutôt bourgeois en Île-de-France.


Le bâtisseur, donc, va jeter son dévolu sur les anciennes carrières. Une vieille marotte gabinienne. Comment, dans une métropole comme Paris, peut-on laisser à l’abandon 14 hectares d’espace ? Le projet est colossal : il prévoit notamment la construction de près de 2000 logements et d’un collège.


D’emblée, les associations de défense de l’environnement sont vent debout. Les habitants aussi : le Collectif des Carrières de l’Ouest naît. « Nous étions fermement opposés au projet. La ville se bétonise déjà à vitesse grand V, ça aurait été un coup fatal à l’esprit de nos banlieues paisibles », se remémore François Joulin à la tête de la fronde. Pourtant, ce projet n’a pas que des ennemis.


Outre la ville, les promoteurs peuvent aussi compter sur le soutien de l’établissement public territorial Grand Paris Grand Est, sorte de semi-communauté de communes dirigée par… Michel Teulet, le maire de Gagny. La Métropole du Grand Paris (MGP) semble aussi favorable au projet. La construction de nouveaux logements dans l’agglomération est sa priorité. Un quartier entier qui sort de terre à proximité d’une gare RER, c’est une aubaine.


Mic Mac administratif

Sur le papier, le chemin semble tout tracé. Il faudra bien sûr gérer la contestation, l’éteindre. Faire face à quelques recours au tribunal administratif. Mais rien de bien méchant pour des élus soudés, rodés et décidés à mener à bien ce projet d’envergure. Michel Teulet en tête.


Sauf que la bureaucratie va passer par là. « Que ce soit la Ville, l’EPT ou la MGP, tout le monde était d’accord mais ils ont tous voulu mettre leur nez dedans » déplore François Joulin, qui se remémore les consultations houleuses organisées à l’époque.


Le service d’urbanisme de Gagny est pleinement mobilisé avec le plan local d’urbanisme sous le bras. Même chose du côté de la direction de l’aménagement et de l’urbanisme de l’EPT Grand Paris Grand Est : on est dans les starting-blocks. Idem enfin à la direction de l’Aménagement métropolitain de la MGP, qui se considère parfaitement légitime pour superviser un projet d’une telle envergure.


Les services des trois collectivités mènent les mêmes travaux préalables au lancement du projet : études de faisabilité, expertises technique et environnementale, opérations de consultation de la population, lancement des procédures d’enquête publique… « C’est une immense machine qui s’est mise en marche, on ne savait plus où donner de la tête, contre qui il fallait lutter », se remémore, amer, le responsable du Collectif Carrières de l’Ouest. Pour le secrétaire général d’Endema 93, il s’agit là d’une situation complexe mais qui semble se répéter sur chaque projet, « sauf sur ce qui implique les Jeux olympiques de Paris 2024, là c’est assez centralisé ».


Retour en arrière


Coup de théâtre : À l’été 2019, Michel Teulet, maire de Gagny, succombe à une crise cardiaque. Le projet de réhabilitation des Carrières perd son pilier. À ses funérailles, financées par la mairie de Gagny (service rendu oblige), on sait déjà que l’on enterre le projet avec son penseur. D’autant que la contestation populaire va gagner en intensité. Au final et sans surprise, celui-ci sera abandonné par la nouvelle majorité, issue de celle de l’ancien maire. « La préservation de la nature et de l’architecture de la ville dans le contexte de transformation urbaine du Grand Paris est notre priorité » souffle-t-on désormais à la mairie. Une nouvelle position opportuniste, certes, mais payante : le nouveau maire Rolin Cranoly a été réélu dès le 1er tour en mars 2020, obtenant 58,52 % des suffrages.

La réhabilitation des Carrières de l’Ouest n’est pas abandonnée pour autant. Le terrain vague deviendra un grand parc ouvert à tous les habitants de la Seine-Saint-Denis. Pour cela, des travaux de sécurisation et d’aménagement doivent être menés jusqu’en 2023.


L’heure des comptes

Que reste-t-il du précédent projet ? Des centaines et des centaines de pages de rapports, d’expertises, de compte-rendu de consultations publiques et, surtout, de doublons, de documents quasi-similaires, commandés par les différentes collectivités impliquées. Difficile d’obtenir une estimation précise du coût total de l’opération.

« Il y en a, au bas mot, pour un million d’euro », avance-t-on du côté du collectif Carrières de l’Ouest : « de l’argent public jeté par les fenêtres pour un projet qui suscitait une vive opposition au sein de la population locale », abonde François Joulin, sans confirmer ce chiffre.

Un chiffre jamais rendu public. Ni même estimé. La Chambre régionale des comptes d’Île-de-France ne s’est jamais penchée sur ce cas précis de l’argent gaspillé par une organisation territoriale ultra-complexe qui pèse de plus en plus. « L’empilement des compétences ne semble pas être une source d’efficience des acteurs publics », glose un représentant de l’Endema 93, qui n’en dit pas plus : « pas assez compétent. »


Le projet de création d’un vaste parc sur le site des carrières coûtera, lui, entre 14 et 16 millions d’euros, principalement financés par l’État. La municipalité de Gagny a quant à elle acquis la parcelle de 14 hectares pour près de 1,5 million d’euros.


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