top of page
  • Louise Pointu d'Imbleval

« Joli matos… et je ne parle pas du vélo ! »

Paris, un frein pour les femmes cyclistes ?


Rue du Faubourg Saint-Antoine à Paris, une femme tout équipée s'apprête à monter sur son vélo.


A Paris, le vélo s’impose comme le moyen de transport le plus efficace. Malheureusement, entre agressions et infrastructures inadaptées, les femmes peinent à se mettre en selle.

« Ça s’entraîne bien, je vois ! Bien musclée, bien galbée ! ». Alors qu’elle roulait en plein après-midi au polygone du bois de Vincennes (l’un des deux circuits pour s'entraîner au vélo de route à Paris), Julie*, 29 ans, se fait interpeller par un homme « qui aurait pu être [son] père ». Elle venait d’accélérer la cadence, après qu’il lui eut demandé si la fillette qui roulait au loin était sa petite sœur. Ce type de remarques, Julie en entend quasiment chaque jour. Elle roule quotidiennement à vélo depuis déjà deux ans.


En 2020, la ville de Paris enregistrait une augmentation de 60% des déplacements quotidiens à vélo par rapport à 2019. Président de l’association Paris en Selle, Jean-Sébastien Catier le confirme dans les colonnes de Capital : « Entre les grèves de la RATP de décembre 2019, les confinements et déconfinements qui ont entraîné une méfiance vis-à-vis du métro et le nombre de pistes cyclables qui a augmenté, le vélo à Paris connaît un incroyable succès. » Du succès certes, mais toujours de façon inégale. Si Paris compte aujourd’hui près d’un million de cyclistes - contre moins de 20 000 il y a 40 ans - on enregistre toujours 40% de femmes pour 60% d’hommes. Pourtant, elles sont sur-représentées dans les accidents : entre 2005 et 2017, 24 cyclistes ont été tués par des poids-lourds à Paris… Et 16 d’entre eux étaient des femmes. Pour les associations d’utilisateurs et les militantes féministes, des moyens sont à développer afin d’adapter au mieux ce mode de transport pour les femmes.


Les remarques sexistes

En France, l’espace public est-il encore dangereux pour elles ? Selon une étude menée cette année par Yougov, 76% d’entre elles se sentent en insécurité dans la rue. Mais d’après Isabelle Lesens, consultante en mobilité pour la Mairie du 15e arrondissement, « la plupart des femmes cyclistes disent qu’on se sent beaucoup en plus en sécurité à vélo qu’en transports en commun, ou à pied ». Une affirmation pourtant réfutée par le géographe Yves Raibaud, auteur de l’étude Femmes et hommes sont-ils égaux à vélo ? Selon lui, le sexisme existe autant à pied qu’en bicyclette. « À vélo, elles sont plus mobiles, mais les incidents arrivent au feu rouge, au stop, quand elles empruntent les vélos en libre-service à des bornes […] quand elles doivent garer leur bicyclette…



©Eve Coston, « Chroniques du vélotaf ».


Dans le cadre de cette enquête, elles sont plus d’une dizaine à témoigner d’un sexisme ambiant. S’il se manifeste par du mépris, il laisse le plus souvent place à des violences verbales. Margaux*, 36 ans, a plus d’une fois été interpellée sur son apparence : « Mais quelle idée ? Le vélo donne de gros mollets… c’est moche sur une femme ! ». Très souvent, ces remarques sont lancées par des automobilistes. « Le vélo, c’est avec les deux mains, mademoiselle ! », se souvient Agathe, 28 ans. Elle pédalait sur la voie cyclable, une main dans la poche, quand un homme d’une cinquantaine d’années l’a interpellée. Il était 19 heures, Agathe rentrait du travail par son chemin habituel . « Je ne gênais personne. Et j’ai reçu cette remarque de la part d’un homme au volant de sa voiture, garée en double-file ». Mais parfois, la violence physique intervient… Et peut émaner des cyclistes eux-même. C’est ce qui est arrivé à Elsa, alors qu’elle dépassait un homme sur la piste cyclable. « Je n’avais pas de sonnette, alors j’ai sifflé pour prévenir de mon passage. Il n’a pas apprécié de se faire siffler et dépasser par une femme. » Furieux, l’homme s’est arrêté et l’a menacée en levant son vélo au-dessus de sa tête. « Il était prêt à me le balancer dessus ! »


Le sentiment d’insécurité est accentué par les infrastructures inadaptées. Voies mal éclairées, pistes trop étroites et parfois trop proches des véhicules motorisés… Plus prudentes, elles s’y risquent moins. « On apprend davantage la prudence aux filles, indique la sociologue Laëtitia César-Franquet. On ne leur offre donc pas la même autonomie de déplacement qu’aux garçons. Cette peur du risque conditionne d’office leur comportement à l’âge adulte. »


Vers une féminisation du vélo

Malgré le machisme présent dans cette discipline, le cyclisme tend à se féminiser. A Paris (et dans six autres grandes villes de France), l’entreprise Cyclofix s’impose comme un acteur majeur du secteur de la mécanique-cycle. Très accessible, cette plateforme de mise en relation propose aux cyclistes la réparation à domicile. Consciente du manque de représentation féminine dans le métier, l’entreprise lance, à l’été 2021, la « Cyclofix Academy ». Le principe : offrir à tous - et surtout à toutes - la possibilité de se former à la mécanique du vélo. Soit dans un objectif de reconversion professionnelle, soit pour permettre aux cyclistes d’être autonomes en cas de panne. « La formation en e-learning est d’ailleurs totalement gratuite pour les femmes depuis le mois de mars ». Comme l’indique Pauline Juvigny, responsable des contenus média chez Cyclofix, « c’est avant tout une question de représentation. De manière générale, les femmes ont moins confiance en leurs capacités, et c’est d’autant plus vrai quand il n’y a pas de rôle modèle à qui on peut s’identifier ». Malgré ces efforts, l’entreprise ne compte que trois femmes sur les 150 réparateurs du réseau - et dans leur seul atelier physique, installé à La Défense, tous sont des hommes. Un chiffre qui illustre le manque de femmes dans le métier de mécanicien-cycle.


Eve Coston, 31 ans, architecte et vélotafeuse (qui utilise quotidiennement son vélo pour se rendre sur son lieu de travail), confirme ces propos. A Lyon, elle ouvrira son café/vélo féministe au mois de mai. « Le fait d’avoir moins de femmes que d’hommes sur les pistes ne les encouragent pas à s’y mettre, car c’est un milieu très masculin. Il est urgent que de plus en plus de femmes s’approprient ce mode de transport. Et pour que ça se réalise, il faut qu’elles soient autonomes sur la réparation de leurs vélos ; pour ne pas avoir à demander de l’aide quand elles ont un problème. »


Mais au-delà de la mécanique-cycle, toutes pointent le fait que les équipements de vélo ne sont que très peu adaptés aux femmes. Une tendance en passe de changer : de nouvelles marques d’équipements, telles que Wilma, voient le jour et s’imposent comme de véritables révolutionnaires. Après les culottes menstruelles - des sous-vêtements lavables et réutilisables qui intègrent un assemblage de protections absorbantes -, voici « le cuissard vélo qui va changer les règles » selon la marque. Tout juste lancé, il promet confort et sérénité.


La charge mentale sur le porte-bagages

Pour Marie-Xavière Wauquiez, présidente de l’association Femmes en mouvement, « une femme n’a pas la même nature de déplacements qu’un homme ». A cause de la charge mentale qui leur est imposée, elles doivent adapter leurs trajets à leurs tâches quotidiennes. En effet, une femme avec enfant verra ses trajets allongés par rapport à ceux des hommes. Il lui faudra installer un porte-bébé à l’arrière de son vélo - et donc s’ajouter une charge - et faire des détours pour se rendre à la crèche ou à l’école, par exemple. Yves Raibaud le confirme : les hommes « sont deux fois plus nombreux à ne rien transporter et trois fois moins nombreux à avoir des sacoches ou un porte-bébé ».


Mais peut-on véritablement parler d’aménagements cyclables sexistes ? David Belliard, adjoint à la Mairie de Paris chargé de la mobilité et des transports, confirme un Plan Vélo (pour 2021-2026) prenant en compte les besoins de tous les usagers. « En matière de transports, l’offre crée la demande dans des centres urbains qui s’y prêtent. Plus les infrastructures sont importantes, plus elles sont utilisées, et plus le panel d’individus les utilisant se multiplie. »


Paris « invite » les franciliens à rouler à vélo

Dans un objectif de « Paris 100% cyclable », « l’enjeu est donc d’offrir la possibilité de faire du vélo à toutes et tous », affirme David Belliard. « Tout ce qu’on peut faire pour améliorer la sécurité et le confort, on le fait. » Le plan répondra donc à trois grands enjeux : la question du stationnement sécurisé, l’éclairage des pistes et enfin, un « maillage cyclable complet ». Si 5 000 nouvelles places de stationnement ont été créées depuis le mois d’octobre, Paris aimerait atteindre le nombre de 100 000 nouvelles places - comptant environ 60 000 arceaux destinés aux vélos classiques, ainsi que des « expérimentations d’arceaux pour les vélos-cargo ». Concernant l’éclairage, l’adjoint affirme des pistes cyclables éclairées « au même titre que la voirie automobile ». Pourtant, les forêts parisiennes - principalement le bois de Vincennes - sont plongées dans le noir. Une défaillance de taille puisque les franciliens sont de plus en plus nombreux à rejoindre Paris à vélo, depuis la banlieue. Enfin, la métropole investit près de 300 millions d’euros dans le projet RER-Vélo ; un réseau de voies cyclables qui permettra de rejoindre Paris depuis les communes limitrophes. Au total, douze itinéraires cyclables, représentant 720 kilomètres de route devraient voir le jour d’ici 2030.


Plan du projet RER-Vélo.


Ces futurs aménagements pourraient rapprocher la Capitale de villes exemplaires comme Amsterdam, où 63% des habitants utilisent la bicyclette quotidiennement et où les femmes sont majoritaires.


Par Louise Pointu d'Imbleval


















bottom of page