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  • Maxime Trédan

Kiri, Tropicana, Teisseire... Peut-on légiférer contre l'inflation déguisée en supermarché ?

En pleine crise de l’inflation, plusieurs grandes marques comme Tropicana, Danone ou encore Kiri sont accusées d’avoir réduit la taille de leurs produits vendus en supermarché sans pour autant faire fondre le prix. Une méthode légale mais décriée et contre laquelle les marges de manœuvre juridiques sont minces.

Par Maxime Trédan.

Des stars du frigo ont été épinglées pour s’être discrètement allégées sans que leur prix ne baisse. /Photo MT.

« Moi je l’aime bien ce jus d’orange, le matin. Il est un peu cher, mais il est bon ». Au rayon frais de son supermarché de quartier, dans le XIIème arrondissement de Paris, Josette, la soixantaine, se jette sans réfléchir sur une bouteille de jus d’orange sans pulpe Tropicana. À la question de savoir la quantité qu’elle contient, elle répond du tac au tac : « Ben, un litre. Non ? ». Et non ! Depuis trois ans, la bouteille ne contient plus que 900 millilitres de jus d’orange… C’est l’un des plus fameux exemples de « shrinkflation » (ou « réduflation », chez nos amis Québécois), cette technique qui consiste pour les industriels à réduire à la marge la quantité d’un produit sans en faire baisser le prix à l’unité. Ce qui fait automatiquement grimper le tarif au poids.

Tous les rayons sont concernés


Début septembre, l’ONG Foodwatch publiait une grande enquête mettant en lumière 6 produits alimentaires très populaires dont le prix au kilo ou au litre a discrètement gonflé dernièrement. C’est notamment le cas de la margarine Saint-Hubert Omega 3 qui s’est allégée de 10 grammes ou du bidon de sucre Saint-Louis qui en a perdu 100. Idem pour la bouteille de Salvetat qui a perdu 10 millilitres ou, plus surprenant, le sirop de grenadine Teisseire dont le format est passé de 750 à 650 millilitres. Même l’iconique fromage Kiri a perdu 2 grammes par portion individuelle !

« Bof, 2 grammes. Ça change quoi au juste ? », rétorque Marianne, mère de famille, en se saisissant d’un paquet de 8 portions pour ses enfants. « En tout cas, moi, c’est pas ce qui va m’empêcher de continuer à en acheter ! », conclut-elle en traînant son panier roulant vers le rayon céréales. « Je trouve ça honteux, s’insurge au contraire Djamila, la vingtaine. Faut payer plus pour avoir moins et en plus c’est caché… Ce serait sympa de prévenir au moins ! »

Une pratique légale… mais immorale


En la matière, difficile d’interdire aux marques d’user de ce genre de pratiques. « En étant tout à fait honnête, je dirais même que cette technique agaçante sur le papier a au moins l’intérêt de garder fixe le prix des produits à l’unité, surtout en période d’inflation », réagit tout en mesure François Carlier, le délégué général de l’association Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV). Toutefois, celui-ci reconnaît que, face à sa prolifération dans un tel contexte, il faudrait réfléchir à encadrer la pratique, au moins pour ce qui relève de l’information des consommateurs. « Mais existe-t-il seulement un registre qui recense le format des produits et leur évolution dans le temps ? J’en doute fortement », nuance-t-il.

Même constat pour Florent Prunet, avocat rompu aux questions liées à la consommation au cabinet Jeantet : « Je ne pense pas qu’il soit souhaitable de légiférer. Rappelons que la France dispose déjà d’une des législations les plus sévères en matière de protection des consommateurs ». Ce dernier rappelle d’ailleurs que les industriels ne sont pas tenus de communiquer sur l’évolution de leurs emballages. « Il faut reconnaître qu’aujourd’hui le consommateur est mieux informé, grâce notamment à l’action des associations qui scrutent les marques en permanence. […] Chacun doit faire preuve de vigilance individuellement », plaide l’avocat.

« Je ne regarde jamais le prix au litre ou au kilo. Mais quoi qu’il arrive, on se fait toujours avoir alors… » souffle Josette, sa bouteille de jus d’orange à la main. En parallèle de son enquête, l’ONG Foodwatch a lancé une pétition pour « exiger des industriels et distributeurs de s’engager pour une information claire en face avant des produits, signalant ces changements de format ». Elle avait déjà recueilli près de 20 000 signatures le 13 septembre.

 

Connaissez-vous Robert Crandall, l'inventeur de la shrinkflation ?


Dans les années 1980, l'Américain Robert Crandall est le roi des « coast-killer », ces gestionnaires chargés de faire d'immenses économies en réduisant drastiquement les coûts. À la tête de la puissante compagnie aérienne American Airlines, il va devenir le premier, selon la légende, à faire gagner beaucoup d'argent à son entreprise, au moyen d'une modeste action réalisée à la marge.


Ainsi, le PDG décide de s'attaquer aux salades niçoises servies dans ses avions à des centaines de milliers de passagers chaque année, comme le racontent - en anglais - le New York Times (ici) et ABC News (là). Au cours de l'année 1987, Robert Crandall est ainsi parvenu à faire économiser 40 000 dollars de l'époque à son entreprise, juste en enlevant une seule olive par salade !


Pour la première fois, l'inflation d'un gain ou d'un prix par la réduction (shrink, dans la langue de Shakespeare), est théorisée. Et le concept va faire de très, très nombreux émules partout sur la planète.


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