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Le théâtre, remède pour les âmes et les corps trop longtemps confinés

  • Photo du rédacteur: Alt Pro60
    Alt Pro60
  • 22 avr. 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 avr. 2021

REPORTAGE - Alors qu’un retour à la vie normale se profile après de longs mois d’isolement sanitaire, un atelier d'art-thérapie propose, dans le quartier Bastille, à Paris, un réapprentissage en douceur des relations humaines à travers le jeu des planches.


Débutants ou amateurs, huit habitants du quartier Bastille se retrouvent pour oublier, le temps de quelques heures, le confinement par la magie des planches. Crédits : EP

Bonjour, moi c’est Danièle, 86 ans. Heureuse d’être parmi vous et de rencontrer de nouvelles têtes... Je précise que je suis tout juste vaccinée, vous ne risquez rien avec moi (rires)”. Sur les chaises disposées en cercle, huit paires d’yeux, le visage couvert du sempiternel masque sanitaire, se regardent avec curiosité. Il y a Jean-Marc, musicien, 70 ans, et Caroline, 39 ans, CEP dans un collège du quartier; il y a aussi Clémence, 15 ans, et Soline, étudiante, ou encore Macha, immobilisée sur son fauteuil roulant. Débutants ou amateurs, ils sont venus s’essayer à la comédie pour oublier, le temps de quelques heures, les distanciations sanitaires. Parce que cela fait trop longtemps qu’ils n’ont rencontré personne, ou presque. “On va commencer par quelques échauffements”, sourit la professeure Alexandra Jussiau-Tahar, art-thérapeute. Ne pas laisser la timidité s’installer, car le temps presse : en trois après-midi, l'objectif est de voir repartir ses élèves un peu plus sereins, plus assurés, et forts de moments d'amitié par le théâtre.


En cet après-midi d’avril, alors que le soleil inonde l’immense salle trop large pour ce petit groupe, ils commencent à déambuler au son d’une musique douce, sous les indications de la comédienne : “Avancez tout doucement, comme si vous étiez lourds. Posez vos paaaas…. Coooomme çaaaa… Maintenant, soyez alertes : dansez, faites-vous plaisir !”. Et peu à peu, les corps s’assouplissent, les gestes s’élargissent, les sourires pointent. Adieu les distanciations sociales ! Une complicité s’installe.


Dès la première séance, les participants, en duo, s'exercent à se donner la réplique. Les masques tomberont bien vite. Crédits : EP

Jean-Marc, 70 ans et atteint de Parkinson, esquisse cahin-caha quelques pas de danse au travers de la piste. Les bras étendus vers le ciel, on croirait qu'il plane. Un large sourire illumine son visage flétri par les années, mais rayonnant de sentir la musique réveiller son corps. “Avec le confinement, je me suis retrouvé la tête sous l’eau. J’avais l'impression d’être en apnée depuis presque un an. Je ressentais le besoin de me lâcher, de revivre des moments de liberté, d’insouciance, de tenter quelque chose de neuf”, confie-t-il au Figaro. Fin connaisseur des danses traditionnelles, tourneur de manivelle dans les parcs du XIe arrondissement à ses heures perdues, ces longs mois d’immobilité imposés par le Covid-19 ont été pour le mélomane un vrai calvaire. Ses jambes le démangeaient. “ C’est pour cela que je me retrouve ici”.


Mieux qu’un antidépresseur


Le mal-être de Jean-Marc, beaucoup de Français l'éprouvent aussi, après plus d’une année de distanciation sociale. Selon les chiffres de Santé Publique France, 20 % souffrent d’un état dépressif, soit une hausse de 10% par rapport au niveau hors épidémie. Le taux d’anxiété a également doublé en raison du confinement. Face à ce constat, les adeptes de l’art-thérapie voient dans le théâtre un moyen privilégié de renouer avec le relationnel. "Lorsque l‘être humain est isolé de son environnement social, réduit au strict cercle familial, il dépérit irrémédiablement”, explique Jean-Pierre Royol, docteur en psychologie clinique et président de la Ligue professionnelle d'Art-Thérapie. Relativement récente en Europe, l’idée d’utiliser les méthodes artistiques à des fins thérapeutiques n'est d'abord qu'une intuition de quelques psychiatres et psychologues. C'est dans les années 1990 que commencent à paraître, dans la littérature anglo-saxonne notamment, des articles scientifiques cherchant à objectiver les bienfaits des arts, dont le théâtre, pour le psychique humain. ”L'art-thérapie ne va pas agir tant comme un médicament ou un anti-dépresseur, mais plutôt créer un climat favorable pour aider les personnes à retrouver le sens et le goût des relations”, explique Jean-Pierre Royol. “ “Il y a une multiplicité de méthodes dans l’art-thérapie, mais toutes tendent vers le même objectif : le résultat n’a pas d‘importance, ce qui compte, c’est la relation et le travail sur soi”.



Alexandra Jussiau-Tahar exerce l'art-thérapie depuis plusieurs années déjà, pour soigner les angoisses et sensibiliser à divers sujets de société. Crédits : EP

Depuis de longues années déjà, Alexandra Jussiau-Tahar, comédienne professionnelle, pratique l’art-thérapie à travers le théâtre. Tour à tour en Ehpad, auprès des mineurs en prison, des élèves de primaires victimes de cyberharcèlement aux lycéens confrontés aux violences scolaires, son art des planches panse les blessures et sensibilise sur les sujets de société les plus sensibles. “Amener le théâtre au plus proche des personnes pour rejoindre leur quotidien, leur réalité, voilà mon objectif”, explique-t-elle. Constatant les effets pervers du confinement sur le moral des Français, la comédienne a monté cet atelier de trois jours pour donner joie et confiance en soi aux personnes qui, épuisées de restrictions sanitaires trop longues, s'apprêtent à lui livrer un peu d’elles-mêmes. “Les participants ont tous subi, à leur manière, des angoisses plus ou moins senties, plus ou moins assumées, exacerbées par de longs mois de confinement. Je crois fermement que l’incarnation des textes et l’imaginaire peuvent guérir et sauver de beaucoup de choses”.


“Les participants ont tous subi, à leur manière, des angoisses plus ou moins senties, plus ou moins assumées, exacerbées par de longs mois de confinement. Je crois fermement que l’incarnation des textes et l’imaginaire peuvent guérir et sauver de beaucoup de choses” Alexandra Jussiau-Tahar, art-thérapeute.

Le théâtre, vecteur social


Danses, récitations, exercices de coordination avec son partenaire, apprentissage et assimilation des textes : pendant les trois jours de répétitions, ses élèves ne chômeront pas : “On n’a plus l’habitude de créer une telle complicité avec des gens, quand les rencontres spontanées nous sont interdites depuis tant de mois !”, s'enthousiasme Soline, 18 ans. “On rencontre de nouvelles personnes et mieux, on en devient complice. Cela fait beaucoup de bien”.



Sur un son de Dalida, Macha et Clémence improvisent une chorégraphie à deux. Crédits : EP


Dans le contexte de la crise sanitaire, de plus en plus d'intellectuels, scientifiques et médecins tirent la sonnette d’alarme en soulignant la dimension sociale de la crise. “Ce qui nous manque en ce moment est absolument essentiel”, expliquait dans les colonnes du Figaro Marie de Hennezel , psychologue clinicienne et psychothérapeute. “Le sens du toucher est le premier qui se développe dans l’embryogénèse. Plus on est dépendant, plus on est vulnérable, plus on a besoin de sentir cette relation à l’autre qui passe par le toucher”.


Face aux “distanciations sociales”, le théâtre, art du geste, apparaît comme vecteur privilégié pour réapprendre le lien social de l’ancien monde. Dans l’atelier du quartier de Bastille, les masques tombent rapidement, les distances s’estompent au fur et à mesure des exercices. “Je n’avais encore jamais fait de théâtre", confie Danièle, la doyenne du groupe. Tandis qu’elle récite son texte au milieu de la scène, sous l'oreille attentive de ses compagnons de théâtre, nul ne pourrait deviner que la senior sort d’une longue dépression, pendant ces longs mois coupés du monde. “J’étais telle une huître sur son rocher : fermée, statique. J’attendais que le temps passe. Alors, je me suis lancée dans cet atelier en me disant qu’il fallait vivre !”, s'exclame-t-elle, bûchant sur la réplique qu’elle doit donner à la jeune Clémence, sa partenaire de scène, inscrite par hasard pour meubler des vacances que le confinement annonçait peu reluisantes.

Jean-Marc, tourneur de manivelle et amateur de danses traditionnelles, a sorti ses plus beaux atours pour la représentation finale. Crédits : EP

Si les arts-thérapeutes ne sont pas encore reconnus au niveau médical, l’association nationale de dramathérapie (AND) cherche à montrer leur efficacité redoutable contre la dépression, le mal-être, le manque de confiance en soi et l’isolement. “De plus en plus de psychologues et psychiatres le recommandent”, affirme sa présidente Viviane Seron. “L’art-thérapie s’adresse précisément aux publics fragilisés par l’isolement. Dans le monde post-confinement, il aura donc tout son rôle à jouer", appuie-t-elle. "Les neurosciences aujourd'hui ont tendance à réduire le sujet humain à un cerveau. À cela, le théâtre répond par du concret, du physique”, déclare de son côté Jean-Pierre Royol. A voir les sourires illuminant les visages tandis que les participants reprennent la route, la représentation finale achevée, la dramathérapie a de beaux jours devant elle à l'aube du monde post-covid.


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Relecteur V1 : Tiana Soares


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Je n’avais encore jamais fait de théâtre", confie Danièle, 86 ans. Tandis qu’elle récite son texte sous l'oreille attentive de ses compagnons de scène, nul ne pourrait deviner qu’elle sort d’une longue dépression, exacerbée par les confinements successifs. Pour reprendre goût à la vie, elle a choisi le théâtre et rejoint l’atelier d’Alexandra, comédienne et art-thérapeute. (Lien)


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Et si l’art-thérapie, mieux qu’un antidépresseur, était la solution pour retrouver le monde d’avant, après un an de gestes barrières ? Dans l’atelier d’Alexandra, comédienne professionnelle, on apprend à se retrouver soi et renouer avec les autres par les planches. #Théâtre #Covid #relationshumaines (lien).


 
 
 

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