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  • Quentin Halbout

Les fous du guidon

Dernière mise à jour : 8 avr. 2022

Trottinettes électriques à Paris : mais que fait la police ?

Depuis près de 5 ans, les rues de Paris croulent sous les trottinettes électriques. (Quentin Halbout)


Installées à Paris depuis près de cinq ans, pratiques et écologiques, les trottinettes électriques n'en demeurent pas moins particulièrement dangereuses. 2000 blessés chaque année, et pas moins de 22 morts rien que pour 2021. Mais alors, que fait la police ?


Peu après minuit, le 14 juin 2021. Malgré l’heure tardive, la température est douce. Miriam, serveuse à Paris dans un restaurant italien, marche voie Georges-Pompidou, le long de la Seine, au niveau du pont au Change, entre le Ier et le IVᵉ arrondissement. La jeune femme italienne rejoint une dizaine de collègues sur les berges. Soudain, une violente collision. L’amie de Miriam est percutée par une trottinette électrique qui circulait entre les piétons. Le choc la pousse sur Miriam qui est projetée au sol, où sa tête cogne violemment le pavé. Face à elle, les deux jeunes femmes sur l’engin prennent la fuite. Inconsciente, l’italienne est transportée d’urgence à l’hôpital la Pitié-Salpêtrière, où elle décèdera trois jours plus tard.


Cet accident dramatique n’est pas aussi rare que l’on pourrait le penser. En 2021, 22 accidents mortels impliquaient des engins de déplacement personnel à moteurs, ou EDPM. Ce titre, technique, désigne l’ensemble des moyens de transports « doux » dotés d’un moteur électrique : trottinettes électriques, gyropodes, gyroroues ou encore hoverboards. Chaque année, ces engins blessent 2 000 personnes dans la capitale.


En 2019, le législateur a répondu à l’urgence de mettre un terme à un flou juridique dangereux. Avant, les EDPM ne disposaient pas d’un statut juridique propre : « Ces engins n’existaient pas en droit français, explique Hadrien Muller, avocat spécialisé en droit des dommages corporels. Certains juges les considéraient comme des piétons, car vulnérables, d’autres comme des conducteurs de véhicules. »


Par décret, le 23 octobre 2019, les députés ont réformé le Code de la route pour y introduire ces nouveaux modes de transport. Depuis sa promulgation, le décret pose plusieurs obligations au conducteur et encadre l’utilisation des EDPM. Parmi les règles édictées dans ce texte de loi, l’interdiction pour ces véhicules de rouler sur les trottoirs, comme c’est le cas à Paris, où le conducteur s’exposerait à une amende forfaitaire de niveau 4, d’un montant de 135 euros. Cependant, cette règle peut être démentie par une dérogation de la Mairie qui peut autoriser la circulation, au pas, sur les trottoirs.


Les équipements obligatoires depuis le décret de 2019. (Source: Sécurité routière)


Les accidents mortels repartent à la hausse en 2021

Les véhicules doivent circuler sur les pistes cyclables ou la chaussée, en l’absence de voie cyclable. Pour le conducteur, le décret l’oblige à porter un vêtement réfléchissant la nuit et en cas de visibilité réduite. Le port d’écouteurs ou de casque audio est formellement proscrit. La vitesse maximale autorisée a été fixée à 25 kilomètres par heure. Des règles qui auraient pu diminuer le nombre d’accidents. « Le décret est venu mettre un cadre juridique là où il n’y en avait aucun, poursuit Hadrien Muller. En trois ans, pas mal de chemin a été fait, il y a moins d’accidents entre les piétons et les trottinettes, mais plus de trottinettes renversées par les autres véhicules. » Les accidents mortels, qui ont baissé entre 2019 et 2020, repartent pourtant à la hausse en 2021, d’après le bilan provisoire de la sécurité routière 2021. L'institution l’explique par une année 2020 « atypique. » Pour Jocelyn Loumetto Ndouzi, délégué général de la fédération des professionnels de la micro mobilité, « la crise sanitaire a modifié les habitudes de transport. 52% des utilisateurs ont substitué les transports en commun par l’achat d’un véhicule de déplacement personnel à moteur. »


Nombre de décès par an et par véhicule en 2021. (ONISR données définitives jusqu'en 2020, donnée provisoires 2021)


Rapides et furieux

« Sur ma gyroroue, la vitesse est bridée à 25 kilomètres par heure, officiellement. Mais dans l’application, on peut monter jusqu’à 40. Je trouve cela bien qu’on laisse la responsabilité à l’utilisateur », explique Benoit, conducteur de « roue » - diminutif de gyroroue - depuis deux ans. Les trottinettes électriques sont devenues, sur les quatre dernières années, les véhicules privilégiés des citadins avides de déplacements rapides, voire très rapides. Elles disposent d’une puissance suffisante pour rouler à la même allure qu’une voiture, à partir de 12 ans. Les trottinettes électriques d’entrée de gamme, entre 300 et 400 euros, en vente sur internet et dans en boutiques, ont une vitesse maximale de 40 kilomètres par heure. Pour les plus sportives, qui peuvent coûter jusqu’à 1 000 euros, elles atteignent 80 kilomètres par heure. Avec son modèle de « roue » à 1 200 euros, Benoit a déjà parcouru 3 600 kilomètres. « Je l’utilise tout le temps, je ne marche plus, rigole-t-il. Je ne dépasse pas la limite de 30 kilomètres par heure, mais j’avoue rouler vite et écouter parfois de la musique. » Des vitesses qui sont d’autant plus dangereuses que les capacités de freinage des EDPM sont loin de celles des voitures. D’après des tests effectués par le laboratoire d’Auto Plus, la distance de freinage d’une trottinette électrique est sept fois plus longue que celle d’une automobile à la vitesse de 20 kilomètres à l’heure.


Malgré leur aspect « jouet », une étude américaine de 2019 a démontré la gravité des blessures engendrée par les accidents en trottinettes électriques. Sur les 249 victimes étudiées, 100 ont été blessées blessés à la tête, parfois gravement. Un constat partagé en France : « L’augmentation des admissions aux urgences suite à un accident en trottinette électrique est importante depuis 2018, 2019. On est passés d’à peu près un accident tous les 45 jours à un accident tous les cinq à six jours », explique le docteur Philippe Foy, chirurgien maxillo-facial à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, au Parisien.


Laxisme ou incompétence ?

Ces accidents, de plus en plus nombreux, peuvent briser des vies. C’est le cas d’Isabelle Albertin, 60 ans. Le 17 mai 2019, Isabelle se fait renverser par une trottinette électrique en libre-service dans le jardin Nelson Mandela, dans le 1er arrondissement. Pianiste professionnelle, elle anime les cours de danse des « petits rats » de l’Opéra Garnier . Elle est victime d’une double fracture du bras droit. Isabelle est arrêtée pendant un an, suite à l’accident, et n'a jamais pu rejouer comme avant, ce qui est « psychologiquement très difficile à vivre », pour la musicienne. « Un os de sa main a été totalement brisé, explique son mari, Jean-René Albertin. Avant, elle pouvait jouer du piano 10 heures par jour. Maintenant, elle fatigue au bout de quelques heures. », Avec son mari, ils ont monté l’Association philanthropique action contre l’anarchie urbaine vecteur d’incivilités (Apacauvi). Cette organisation lutte contre les incivilités sur la voie publique, connecte et accompagne les victimes de ces accidents dans leurs démarches administratives.« Le problème, ce n’est pas de faire des lois, mais de les faire respecter, s’agace Jean-René Albertin, président de l’association, qui ne constate que trop peu d’amélioration depuis l’accident de sa femme. Aucune règle n’est respectée, les utilisateurs de vélos, trottinettes électriques et autres mobilités douces s’en donnent à cœur joie à Paris. »


Selon lui, la municipalité est trop indulgente avec les conducteurs de trottinettes électriques, et ne fait pas respecter ses propres règles. « Ils roulent à toute allure dans les parcs, alors que c’est formellement interdit par la municipalité ! Mais les gardiens et policiers ne disent jamais rien. » Il témoigne d’ailleurs d’un échange avec des policiers sur le parvis des Halles. « J’ai demandé aux policiers pourquoi ils ne demandaient pas aux gens sur ses engins de descendre de leurs véhicules pour passer par là, les policiers ne savaient pas que le passage était interdit aux vélos et EDPM et m’ont répondu qu’ils devaient être formés. »


« Il faut s’attendre à une montée en puissance des verbalisations »

En réalité, certains agents de la sécurité publique ne sont pas juridiquement compétents pour verbaliser les conducteurs de trottinettes électriques. Les forces de l’ordre, la Direction de la prévention de la sécurité et de la protection de la ville de Paris, sont divisées en trois catégories : Les inspecteurs de sécurité de la ville de Paris, qui ne disposent pas de l’autorité pour verbaliser les infractions des conducteurs d’EDPM, Les agents de sûreté de Paris, qui sont une division de la police judiciaire à Paris et disposent de la compétence en termes de réglementation de la circulation, Et la Police municipale, récemment reformée à Paris, dont les premières promotions sortent de l’école. Ces policiers disposent d’une compétence à « 360 degrés », selon les mots de Nicolas Nordman.


En 2021, plus de 14 800 PV dressés contre les EDPM dont près de 6 000 PV pour les seules trottinettes. En ce qui concerne l’infraction spécifique de circulation sur les trottoirs, plus de 4 000 PV ont été dressés, 3 000 pour les trottinettes. En 2020, les forces de l’ordre ont dressé 1,3 million de PV. Ce n’est pas constaté dans les faits. « Là seule fois où je me suis fait verbaliser, c’est parce que j’avais ma trottinette dans le métro, rigole Yann, utilisateur de trottinette électrique depuis trois ans. Pourtant, ça m’arrive de rouler sur les trottoirs et avec mes écouteurs. » Benoît, lui, ne s’est fait verbaliser qu’une fois, en passant avec ses écouteurs devant le palais de l’Elysée.


Le rôle des opérateurs en libre-service

Il faut dire que depuis 4 ans, les pavés parisiens croulent sous les trottinettes électriques. Jusqu’en 2020, jusqu’à 12 opérateurs proposaient leurs véhicules en libre-service à Paris. « C’étaient l’anarchie, témoigne Jocelyn Loumetto Ndouzi. Désormais, ils ne sont plus que trois, et l’utilisation des trottinettes s’est démocratisée pour devenir un réel usage quotidien, et plus un jouet pour les touristes. » Selon lui, le « noyau » des utilisateurs de ces engins en free floating sont des jeunes adultes ou post-ados qui considèrent ces véhicules comme un jeu.


Pour Nicolas Gorse, directeur général de Dott, un des trois opérateurs présents dans la capitale : « Il faut arrêter de s’en prendre au moyen de transport et responsabiliser davantage les conducteurs. Quand quelqu’un se fait renverser par une trottinette, on s’attaque au véhicule ou au constructeur. Par contre, quand un chauffard renverse une personne, on ne s’attaque pas à Nissan ». Ils expliquent que les trottinettes sont « examinées par un laboratoire indépendant avant d’être mises sur le marché et révisées tous les dix trajets, c’est-à-dire environ tous les trois à quatre jours par un salarié formé. » Pour sensibiliser ses utilisateurs à une conduite plus sûre, Dott affiche les règles de sécurité dans l’application à chaque nouvel utilisateur, et les relance « fréquemment » par mail. La marque a même produit un casque pliable, et l’affiche sur son site… Sans obliger les utilisateurs à le porter.

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