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Les Yvelines, nouvel eldorado des pollueurs

A Vernouillet, la décharge est plaine


Dans les Yvelines, les décharges sauvages sont devenues un paysage habituel, malgré la mobilisation des communes pour endiguer ce phénomène. A Vernouillet, chaque semaine, des déchets sont découverts dans les chemins de la commune et sur l’ensemble de la plaine agricole classée « zone protégée».


En 2019, le maire de Vernouillet, 10.000 habitants surprend un entrepreneur abandonnant illégalement un chauffe-eau sur un chemin. Pascal Collado, sympathique maire de la commune depuis 2014, appréhende le fautif. Puis le livre à la police. Après le dépôt d'une plainte, le coupable ne reçoit qu'un rappel à la loi. Symbole du « laxisme » de la justice , s’insurge le maire. Il faut dire que la petite ville des Yvelines , à 13 km de Saint-Germain-en-Laye, vit dans la crainte d’être envahi par les déchets industriels ou agricoles, déversés sans discrimination sur son territoire, un phénomène endémique dans la région.


Plaine de Vernouillet, dépôts sauvages à côté du champ de colza / Crédit : SG

Rien qu'à la sortie du très propre centre-ville, trône un amas de déchets, sur la « plaine de Vernouillet.» Classée « zone agricole protégée » depuis 2008, elle s'étend sur plus de 300 hectares. Tout un symbole.

En 2020, une décharge sauvage à proximité, située à Carrières-sous-Poissy (Yvelines), surnommée la « mer de déchets », avait été sécurisée et nettoyée après un important battage médiatique. Monsieur Collado craint que sa plaine ne devienne le nouvel eldorado des pollueurs.


Des moyens de lutte déployés

Depuis une décennie, des inconnus déversent régulièrement en toute illégalité divers déchets, comme des gravats ou des encombrants sur cette zone naturelle. Rien qu’en 2021, le maire a déposé quatre plaintes. Toutes se sont soldées par des non lieux et des extinctions de poursuites. Les victimes sont souvent les mêmes. Selon Camille Vaur, directrice du cabinet du Maire, trois agriculteurs seulement détiennent des exploitations agricoles sur ce territoire. Ce sont eux qui font endémiquement face à des des dépôts sauvages qui mettent à mal leurs cultures. « L'un d'eux a estimé la perte de ses récoltes à environ 2 hectares par an », déplore t-elle. Mais les exploitants ne sont plus les seuls. Récemment des terrains appartenant au conseil général des Yvelines ont été recouverts de déchets.


Au volant d'une Clio, cette élue de la mairie Camille Vaur arpente régulièrement les chemins sableux de cette plaine. Secouée de tous les côtés, la jeune adjointe au maire roule au pas dans un champ de colza endommagé. Non sans ironie, au moment de passer par un chemin périlleux : « Ça passe, ça passe large, mais je n'ai pas un quatre-quatre non plus. » Les traces des pneus des derniers véhicules passés par là sont encore visibles. « Tous ces petits chemins ont été tracés par ceux qui jettent leurs déchets », précise l'élue. De part et d'autre de la plaine, des remblais se sont formés au fur et à mesure que les agriculteurs poussent. « Contrairement à ce que l'on peut penser, ces talus à droite, là à gauche, ne sont absolument pas naturels, mais composés de dépôts du BTP, de gravats, de briques.»


Un talus de déchets du BTP sur la plaine de Vernouillet / Crédit : SG

Pour lutter contre ce phénomène nuisible à l'environnement, la mairie a lancé un partenariat avec l’association Stop Décharges Sauvages. Fondée par Alban Bernard en mars 2018, c’est à elle que l’on doit la dépollution de la mer de déchets, de l’ancienne décharge de 330 hectares de Carrières-sous-Poissy. Depuis l’élu et l’associatif, qui vit à Carrières-sous-Poissy, travaillent main dans la main. « La mairie a même financé le développement de son application Stop Décharges sauvages. Elle permet de répertorier l'ensemble des décharges sauvages en France », explique Camille Vaur. A Vernouillet, lutter contre les décharges sauvages a tout d’un puits sans fond, se lamente l’élue. Et ce même si même tous les administrés s’y mettent : « Nos services municipaux peuvent être plus facilement mobilisés, mais il ne peuvent pas être partout non plus. »


Blocs de ciments installés par la mairie pour empêcher les intrusions / Crédit : SG

Pour empêcher les intrusions, quatre blocs cylindriques de béton ont été disposés à l'entrée de la plaine. Depuis, un autre chemin a déjà été tracé pour contourner l’obstacle. « Ce qui est le plus décourageant c’est qu’à peine on enlève un dépôt, qu’on a presque un nouveau camion qui arrive », affirme Camille Vaur. Après plusieurs années de bataille administrative, ce site va faire l'objet d'une grande opération de nettoyage d'ici fin 2022. Montant de l’opération ? 120.000 euros, financée, à parts égales, par la région Île de France et la mairie.


Mais qui pollue la plaine de Vernouillet ?

Face à cette pollution, la mairie tente de mener sa petite enquête. Tout autour de cette plaine de Vernouillet, environ 150 familles de gens du voyage sont installées « illégalement » dans des caravanes ou ont construit leurs maisons sur des terrains publics. Selon la mairie de Vernouillet, « certains d'entre eux alimentent cette décharge (dépôts de petits travaux, carcasses de voitures incendiées) ou sont pourvoyeurs des déchets. » L’édile en veut pour preuve la présence de pièces détachées de véhicules. « Vernouillet a été la plaque tournante d'un trafic de véhicules à l'échelle européenne », assure Camille Vaur. « Les Peugeot étaient désossées sur les parcelles de la plaine de Vernouillet, puis, dissimulées sous des bâches », ajoute t-elle . En mai 2020, une vaste opération d'interpellations a eu lieu dans ce camp des gens du voyage. Trois individus, membres de la communauté, ont été condamnés à l'issue de leur passage devant le juge, pour le vol d'au moins 50 véhicules.


Plaque d'immatriculation, canettes de bière, bouteilles en plastique sur la plaine de Vernouillet / Crédit : SG

Autre suspect : les entrepreneurs du BTP. La plaine est ainsi souvent polluée par des tas de gravats, des planches de bois, et autres déchets industriels qui proviennent essentiellement du BTP, selon le cabinet du maire. Selon lui, certains artisans peu scrupuleux, seraient tentés d’échapper à l’accès payant des déchetteries. « Laissés là dans les ronces, les hautes herbes, ça crée inévitablement des dommages colossaux sur les sols et sur les espèces végétales », estime le président de Stop Décharges Sauvages.


« Aucune volonté de la justice de poursuivre ces affaires »

Depuis le 1er juillet 2021, les professionnels ont pourtant l'obligation de faire figurer dans leurs devis un poste déchets et se procurer un bordereau attestant de leur dépôt dans une décharge autorisée. De lourdes sanctions sont prévues en cas de non-respect des règles. Seulement, « en théorie », coupe la mairie de Vernouillet. Selon la directrice du cabinet du Maire, il n'y a « aucune volonté de la justice de poursuivre ces affaires. Malgré plusieurs plaintes déposées par le maire, ce n'est pas la priorité du tribunal administratif d'appliquer des peines déjà existantes, comme la confiscation du véhicule utilisé pour les transports des déchets ou les amendes. »


Un budget colossal pour conserver une ville propre

La plaine de Vernouillet n'est pas le seul point de décharge, explique cette dernière. Régulièrement des riverains tombent sur des dépôts sauvages le long des chemins. Début 2022, un tas de déchets d'une dizaine de mètres cubes d'amiante a été signalé par un promeneur. Coût d'évacuation pour la commune ? 3000 euros. Selon Camille Vaur, la commune dépense entre 50.000 et 80.000 euros par an pour enlever les différents déchets déposés dans ses espaces naturels. Elle a également dû investir 30.000 euros dans du matériel spécifique ; un camion grue, pour nettoyer la ville de fond en comble. « Un budget énorme qui pourrait être affecté à d'autres projets », soupire Camille Vaur.


Pneus, tuiles, matériaux de travaux sur la plaine de Vernouillet / Crédit : SG

Un manque de suivi pénal

Exaspéré et démuni, le maire de Vernouillet a finalement saisi le garde des Sceaux en novembre 2020. Il demande demandant une application systématique des peines maximales pour des délits liés à ces décharges sauvages. « On nous a opposé une une fin de non recevoir La réponse était que l'exécutif ne peut s'ingérer dans les affaires de justice. »


Alors la mairie organise la riposte : le conseil municipal souhaite s’associer aux autres communes voisines touchées (Médan, Chapet), afin de créer un dispositif de « brigades vertes », c’est-à-dire des patrouilles de gardes-champêtres dédiées à la question des dépôts sauvages qui pourraient circuler entre les zones rurales. Didier Delpeyrou, fondateur de la Brigade Écologiste en 2019 a pris les devants. Pour pallier les carences de l’état, voire suppléer les élus, l’homme, militant écologique consacre une bonne partie de son temps, à tenter d’identifier ceux qui ont effectué ces dépôts sauvages. Il se définit lui même comme « auxiliaire des pouvoirs publics. » Cet écologiste estime que les réglementations publiques ne sont pas assez dissuasives. Là où le bat blesse : les déchetteries sont trop peu nombreuses et mal réparties sur le sol français. Selon l'AVPU (Association des villes pour la propreté urbaine), 63.000 tonnes de déchets sauvages ont été abandonnés hors des circuits légaux en France, en 2021.

Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) intitulée « Caractérisation de la problématique des déchets sauvages », publiée en 2019, le phénomène ne cesse de croître. Il y a deux ans, les déchets sauvages représentaient 21 kg par habitant et coûtaient environ 60.000 euros par an en traitement à chaque collectivité (soit en moyenne 4,70 euros par habitant). D'ailleurs, 58% des communes interrogées par l'Ademe confirme que le phénomène s'aggrave. Alors que la loi interdit pourtant cet acte depuis le 15 juillet 1975.


Une pancarte en carton interdisant les déchets sauvages sur la plaine de Vernouillet / Crédit : SG

Camille Vaur estime que « les communes sont abandonnées sur le sujet », notamment lorsqu'elles dépendent de la police nationale qui n'a « absolument » pas les moyens de lutter contre ce fléau. Au détour d'un énième dépôt, une affiche en carton accrochée à un tronc attire l’œil. Dans un français approximatif, il est écrit en lettres capitales: « Celui qui jette des camion de merde, mange leur morts. » Une formule qui résume probablement l'état d'esprit des habitants exaspérés, selon l'élue.







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