Rue Germain-Pilon, des squatteurs qui redonnent vie au décrépit
- Alt Pro60
- 22 avr. 2021
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 avr. 2021
Emile Benech
Libération
V2
9060 signes

Depuis août 2020, 17 personnes occupent un ancien hôtel désaffecté depuis cinq ans, au 31, rue Germain-Pilon. Ils sont musiciens, artistes plasticiens, photographes ou graveurs. À rebours des idées reçues sur le squat, ils cohabitent joyeusement, profitant du temps qui leurs est imparti.
Un squat, ça se reconnaît à sa façade. Dans la rue Germain-Pilon (Paris, XVIIIe), îlot de tranquillité proche de l’effervescence de Pigalle, tous les immeubles sont blancs. Tous, sauf un. Au numéro 31 de la rue pavée, une devanture se détache, colorée d’un rose vivace. « Bienvenue au Pilon », semble-t-elle s’écrier. Elle n’est pas la seule à faire cet effet, d’ailleurs. Ralph, un Dj de 26 ans au sourire qui ne quitte jamais ses lèvres, nous invite à rentrer avec chaleur. Ici, c’est chez lui. Pourtant, son allure casse le mythe du squatteur type : avec son jean et son tee-shirt noir, sa chemise blanche ouverte au vent, il pourrait sortir du Théâtre des Abbesses, qui est de l’autre côté de la rue. Après avoir refermé la porte d’entrée, il se déplace dans l’immeuble avec une agilité féline. Il est 11 heures, les lieux sont presque vides. « C’est un ancien hôtel, désaffecté depuis 2016 », explique-t-il.
La réception fait désormais office de cuisine, agrandie par une deuxième salle, qui a été percée. En préparant le café, il raconte comment lui, l’enfant d’une famille franco-libanaise de classe moyenne, s’est retrouvé à squatter les lieux. « J’ai toujours été scolarisé dans des écoles catho, la religion étant importante pour mes parents. J’étais entouré de gens issus de milieux bourgeois, qui ne manquaient de rien. Moi non plus d’ailleurs. Après avoir passé mon bac, j’ai intégré une école de commerce. Pour ça, j’ai dû faire un prêt étudiant. Là, la banquière m’a mis face à mon futur. De mes 25 à mes 30 ans, je devrais rembourser 500 € par mois. Le choc. » Ralph accepte, mais la discussion lui reste en tête, ne le quitte plus. Au bout de quelques mois, il arrête l’école, rembourse son prêt et part vivre à l’Atmos, une ancienne usine d’import-export dans la zone industrielle de Saint-Ouen. « Pour mes parents, ça a été un choc, j’étais le premier de la famille qui allait faire des études secondaires. Refuser ça, la vie bien rangée qui m’était donnée, ils ont eu du mal à l’accepter. Mais ils ont compris aujourd’hui que j’étais heureux, et l’acceptent. »
Depuis ces 20 ans, Ralph vit de squat en squat. Huit en tout, compte-t-il sur ses doigts. Le milieu du squat, c’est des rencontres, des gens qui se suivent, ou se fâchent. Des lieux qui s’ouvrent et qui se ferment. Ici, le propriétaire des lieux a laissé aux occupants jusqu’au 1er septembre 2021 pour quitter les lieux. « C’était vraiment crade quand on est arrivé, on a réaménagé l’endroit de fond en comble. La cuisine, c’est Anto, notre pro de la plomberie qui l’a installée. Chacun s’est occupé de sa chambre et de son atelier, et on a fait ensemble les parties communes. »
Les ateliers Marcel-Cerdan, voici le nom un peu chic qu’ils se sont trouvé. « Le boxeur venait s’entraîner ici, il y a longtemps », indique Mulk, un artiste à la peau sombre contrastée par les dreads blondes qui lui arrivent aux yeux, en mangeant un sandwich rosette cornichon. Mais, entre eux, ils l’appellent Le Pilon, du nom de la rue.
La confiance règne
Alessandro et Timothée se joignent au café. Ils ont aussi le sourire jusqu’aux oreilles. La journée est belle, le soleil brille, ils sont entre copains. « Quoi demander de plus ! » rigole Timothée. Lui ne vit pas ici, mais aimerait bien. « Je squatte l’atelier d’Aless, plaisante-il. Je fais de la gravure, et l’espace de travail est sympa ici. » Passé par les Arts déco et les Beaux-arts, il a tout de la dégaine de l’artiste flânant au Quartier latin du siècle passé. Jusqu’au béret. Il était dans une résidence d’artiste au Venezuela, « mais j’ai dû rentrer à cause du Covid. Déjà que là-bas, c’était pas la joie… » Depuis, il loge chez ses parents, en banlieue parisienne, et vient travailler ici la journée. C’est la première fois qu’il bosse dans un squat, les écoles lui permettaient avant d’avoir un atelier à sa disposition. Ce qu’il aime ici, c’est la confiance qui règne. « Personne n’a de cadenas, personne ne cache ses affaires. Je suis plus tranquille ici qu’au Beaux-arts, tu te rends compte ! » se marre-t-il.
Alessandro, lui, revient du Mexique. « J’y ai passé cinq ans, à vivre dans un autobus », raconte cet Italien aux cheveux bouclés et à la peau bronzée. Quand il est arrivé sur Paris, pour « s’imprégner de l’ambiance qui y règne », un ami lui a parlé d’un squat, Le Poste. « J’y suis allé, et on m’y a accepté directement. Depuis, je suis le mouvement », rigole-t-il. Ralph se souvient de la première fois qu’il est arrivé au Poste, lui aussi y vivait. Ça fait trois squats que les deux sont colocs. Et ça semble bien se passer. Alessandro nous propose de le suivre dans son atelier, situé au rez-de-chaussée. Drôle d’endroit, où cohabitent un daguerréotype, ancêtre de l’appareil photo, et un mac sur lequel un logiciel de montage vidéo tourne à plein régime. « Je dérushe un sujet pour la télévision italienne », explique Alessandro, qui fait aussi de la photo de presse.

Alessandro devant ses photos, réalisées au daguerréotype. crédit : EB
Alors que midi se rapproche, plusieurs personnes arrivent au Pilon. Mathilde, artiste plasticienne, revient de 10 jours d’isolement après avoir attrapé le Covid. Elle est contente de revenir dans son atelier. En ce moment, elle sculpte des dinosaures à l’argile. Elle passe dire bonjour dans la cuisine. « Tu vois, plaisante Mulk, la cuisine c’est l’endroit le plus important d’un squat, où les décisions se prennent ! » Où la bonne humeur se transmet, aussi. Mulk bosse en binôme avec Tito, qui vient d’arriver. Celui-ci, qui boîte à cause d’une mauvaise chute, a encore son casque de moto sur la tête. Tous les deux travaillent sur toile, dans un atelier au premier étage.
« Avoir des ateliers, c’est essentiel »
Ralph nous invite à visiter les étages. Il grimpe les marches de l’escalier exigu quatre à quatre, comme si le poids de la gravité n’avait aucun effet sur lui. « Sur les 17 personnes qui vivent ici, y’a beaucoup d’artistes, explique-t-il. Donc avoir des ateliers, c’est essentiel. » Au premier étage, un couloir tout aussi serré que l’escalier coupe en deux l’espace. À gauche et à droite, des petites pièces qui contiennent soit un espace de travail, soit une chambre. Plus ou moins bien aménagées, reconnaît Ralph. Dans l’atelier de Mathilde, on retrouve ses petits dinosaures, dans celui de Tito et Mulk les figures bédéesques couchées sur toile.

L'atelier de Tito et Mulk, où la BD trouve sa place en grand, sur toile et boîte à lettre. crédit : EB
Il y a aussi la chambre d’Alex, artiste plasticien de 32 ans. Il habite à Paris depuis toujours, et ne voit pas pourquoi il devrait quitter sa ville. « Certaines personnes me répondent parfois d’aller voir dans le 93 ou ailleurs pour trouver des logements moins chers. Mais c’est pas à moi de bouger, c’est aux loyers de baisser ! » s’énerve-t-il. Selon les données de l’Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne, le prix médian du m2 à Paris - troisième ville la plus chère au monde - s’élève à 24 €. En général, les propriétaires demandent que les revenus du locataire soient au moins trois fois supérieurs au prix du loyer. Pour habiter dans un 35 m2 à Paris, il faudrait donc toucher au minimum 2 530,50 € nets par mois. Une somme impensable, pour ceux qui vivent du RSA.
Au second étage, Une partie du couloir est occupée par une créature en papier mâché, sur laquelle est dessinée une pince-monseigneur, ce levier à la finition au biseau acéré et au long manche, utilisée par les squatteurs pour briser les cadenas. « Au début, c’était un cerf, mais ses bois ne passaient pas par la porte. Maintenant, c’est une vache. »

Le cerf, brutalement rattrapé par la domesticité. De cerf à vache, il n'y a qu'une porte... crédit : EB
Plus loin dans le couloir, il nous présente sa chambre. Simple, mais cosy, avec un canapé en cuir deux places, des néons colorés, un lit et une carte du métro parisien datant de 1975, où il a noté tous les squats qu’il a occupés. « À part le premier, ils étaient tous dans Paris. Après, vu le nombre de logement vides dans la ville, y’a de quoi faire ! » Le rapport de la mairie de Paris de 2019 estimant à 237 000 le nombre de logements inoccupés dans la capitale ne lui donne pas tort.

La chambre de Ralph, dont le canapé, qui semble appartenir à un autre monde, a été récupéré sur donnons.org. crédit : EB
La cigale et la fourmi
La chambre d’à côté, grande ouverte, est celle de sa copine, partie au Mexique en janvier. « Le 12, exactement. Ça fait longtemps, quoi. » Elle est partie avec 3 000 € qu’elle avait mis de côté, plus son RSA. « Je devais partir avec elle, mais je serais rentré sans rien, j’aurais dû recommencer à économiser chaque centime, j’avais pas la force. On est un peu comme la cigale et la fourmi. Elle, ça ne la dérange pas de vivre sans rien. Elle devait y rester un mois, mais elle trouve encore les moyens de vivre là-bas. Hier, elle m’a envoyé une photo, elle était sur un volcan en irruption. À y penser, ça me déprime un peu… »
Un salle de bain pour 17 personnes ? « Pas de problèmes »
Au troisième étage, il n’y a que des chambres, avec un petit salon, dans lequel trône un rétroprojecteur, et la salle de bains. Une pour les 17 occupants. « Dans tous les squats que j’ai faits, il n’y avait à chaque fois qu’une salle de bains. Ça n’a jamais posé de problèmes. » Il reste un dernier endroit à visiter, nous glisse discrètement Ralph. Un coup d’œil à gauche, un coup d’œil à droite. « Tu vas voir, le plus bel endroit, c’est le toit ! » Son accès est interdit depuis que des voisins se sont plaints du bruit. Mais Ralph ne résiste pas à l’envie de le montrer. De là-haut, une vue sur tout Paris. « Regarde, on voit même la pollution. » Si Ralph savoure la vue face à lui, un léger voile couvre ses yeux. « On est bien ici. C’est dommage que ça finisse bientôt… Jusqu’au 1er septembre, on se dit qu’il y a quatre mois, et ça va, explique Ralph. Mais quand on pousse, on se rend compte qu’il n’y a que 120 jours, et ça s’approche déjà un peu plus. Y’a que les prisonniers et les squatteurs qui comptent en jours. »
« Y’a que les prisonniers et les squatteurs qui comptent en jours. »

Ralph, sur le toit du Pilon, surplombant Paris. De là-haut, on voit tout, même la pollution. crédit : EB
Agenda transmédia:
Sur Twitter : Relais de la vidéo de Vice, sur l'ouverture du squat, en expliquant que Libération est allé rendre visite aux ouvreurs huit mois plus tard
Sur Instagram : Photo de la devanture du squat, avec phrase d'accroche : "Un squat, ça se reconnait à sa devanture, puis lien de l'article"
Sur Facebook : Début de portrait de Ralph : "Avec son jean et son tee-shirt noir, sa chemise blanche ouverte au vent, il pourrait sortir du Théâtre des Abbesses. Pourtant, Ralph squatte avec 16 autres personnes un ancien hôtel désaffecté au 31, rue Germain-Pilon. Une joyeuse tribu qui remplit le vide à Paris" puis lien de l'article
Comments