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Seine-Saint-Denis : épuisés et en colère, les policiers du tribunal de Bobigny craquent

Construit en 1987, le tribunal de Bobibgny est considéré comme l'un des plus engorgés de France. ©Nicolas Daguin


REPORTAGE - Manque de moyens et d’effectifs, surcharge de travail, locaux insalubres : quelque quarante agents du dépôt sont actuellement en arrêt maladie pour protester.


“Je vous en prie, dîtes moi que c’est une blague?”, s’agace une avocate Versaillaise. Il est 13h10, le tribunal est en retard dans la douzième chambre correctionnelle de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et Me Chahid-Nouraï vient d’apprendre que l’audience va être renvoyée pour la troisième fois. “Surcharge et priorité aux comparutions immédiates”, lui répond calmement l'huissier-audiencier. Au tribunal de Bobigny, l’un des plus engorgés de France, cette scène n’a rien d’exceptionnelle. Reste que ces derniers jours, la situation empire.


Et pour cause, ce mardi 13 septembre, pas moins de 40 policiers du tribunal manquent à l’appel. Depuis près d’une semaine, tous ont été mis en arrêt maladie pour protester contre leurs conditions de travail. Manque d’effectifs, surcharge de travail, locaux insalubres : les flics du dépôt - là où sont enfermés les prévenus dans l'attente d'être jugés ou auditionnés - craquent les uns après les autres. Depuis juillet, 15 d’entre eux ont définitivement jeté l’éponge. Dès lors, ce trou dans la raquette contraint la justice à limiter le nombre de prévenus dans les geôles du tribunal, par sécurité. “Ce n’est pas possible que 10 ou 15 types soient gérés par deux policiers seulement”, commente un agent du tribunal. Il faut donc juger vite. Priorité aux comparutions immédiates, n’en déplaise à Me Chahid-Nouraï.



Vu d’en haut, le tribunal paraît pourtant en bonne forme, quoique un peu défraîchi - pour ne pas dire démodé. Sous la grande verrière d’où serpentent des centaines de tubes métalliques, les robes noires se faufilent dans la salle des pas perdus, entre les plantes exotiques. Les avocats rencontrent leurs clients, préparent leurs plaidoiries, boivent un café, vapotent. Les conciliabules produisent de légers bourdonnements qui se propagent aux quatre coins du bâtiment.


C’est en fait plus bas que les choses se gâtent. Au dépôt. “Les locaux sont à la limite de l’insalubrité, c’est indécent, tance d'entrée Erwan Guermeur, le patron du syndicat de police Unité-SGP en Seine-Saint-Denis. Les policiers travaillent dans des conditions déplorables et mettent leur vie en danger. Dans les cellules collectives, le carrelage se détache des murs. Il peut ensuite aisément devenir une arme.”

“Les toilettes des cellules sont bouchées en permanence, ça déborde et on se retrouve à marcher dans l’urine. Sans parler de l’odeur avec une ventilation qui ne marche pas”

“Les toilettes des cellules sont bouchées en permanence, ça déborde et on se retrouve à marcher dans l’urine. Sans parler de l’odeur avec une ventilation qui ne marche pas”, souffle l’un des policiers sur place. Sur des images que nous nous sommes procurées, on aperçoit même un rat se promener librement sur le bureau d’un agent.

Un rat se balade librement sur le bureau d'un policier du dépôt. ©DR.


Reste que la situation pourrait encore se maintenir tel quel au sous-sol du tribunal s’il n’y avait pas, en plus, de gros problèmes d’effectifs. “En tant normal, ils [les policiers] sont 98 à bosser au tribunal. Mais en comptant les arrêts en tout genre - sans parler de ceux des derniers jours - ils sont plutôt 90. Pour que tout roule, il faudrait 40 à 50 agents de plus, assure le syndicaliste. Il faut quand même savoir qu’en un an, le tribunal de Bobigny a connu une augmentation de 30% de l’activité judiciaire.”


“Des engagements concrets”


De son côté, le parquet dit “soutenir la demande de renfort d’effectifs”. “On est à deux comparutions immédiates par jour en moyenne, sans compter les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, ce qui impose un rythme de travail conséquent aux policiers”, concède la secrétaire générale du parquet, Anne-Laure Mestrallet.

Par manque d’effectifs toujours, les policiers du tribunal de Bobigny sont aussi contraints de multiplier les missions à l’échelle du département. “Ils font du police secours, du transfert de détenus alors que c’est normalement la tâche des agents pénitentiaires. On les mobilise aussi quand il se passe quelque chose au stade de France”, poursuit Erwan Guermeur. Et d'ajouter : "Ils sont épuisés !"



Pour pallier le manque de personnel au dépôt, la Préfecture de police (PP) pioche dans les effectifs des commissariats locaux, notamment du côté de la BAC, alors même qu’eux aussi manquent de moyens. “Il faut bien prendre en compte le côté provisoire de cette situation. Des solutions vont être trouvées”, tente de rassurer la PP. Reste que plusieurs appels d'offres internes ont été passés pour recruter de nouveaux agents, sans succès. Unité SGP a par ailleurs saisi le préfet de police, Laurent Nuñez, pour “faire avancer les choses et que des engagements concrets soient pris.” En outre, un projet d’extension du tribunal est en cours, avec un nouveau dépôt qui devrait voir le jour dans les trois à quatre années à venir.



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