Yvelines : Tout un village sous la même vigne
- Julien Ruffet
- 22 avr. 2021
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 avr. 2021
À Nézel (Yvelines) naît en 2017 un projet associatif autour du vin. Avec l’aide de la mairie, Philippe Ollivon, le fondateur des Coteaux de la Mauldre, plante 3 500 pieds de vigne sur des terrains non constructibles. Du lancement du projet à l’entretien, l’initiative rassemble au-delà des frontières communales.

Qui aurait cru que l’on puisse trouver une ville avec plus de vignes que d’habitants à une quarantaine de kilomètres de la Porte Maillot ? « On l’a fait ! », se disent les 1 081 Nézellois quatre ans après la fondation du vignoble. Dans son jardin du centre-ville bordé par la Mauldre, Philippe Ollivon, dit "PO", se délecte d’un café ensoleillé, le chant du coq en fond. Fondateur de l’association les Coteaux de la Mauldre, il a retrouvé en cultivant un vignoble une passion. Né de parents agriculteurs, le bureaucrate a vu dans son initiative l’opportunité de se rapprocher de la terre.
Le fruit d’une rencontre au travail
Comme beaucoup de belles idées, tout commence par une rencontre. En l’occurrence avec Damien Courcier, un Nordiste passionné de vin qu’il côtoie au travail. Passant de collègues à amis, ils partagent leur passion autour du fameux nectar. Assis côte à côte autour d’une table en fer, les deux cinquantenaires se rappellent : « En 1817, Nézel comptait 102 vignerons. Ils ont tous disparu en 1881 à cause du phylloxera et de la concurrence du Bordelais et de Bourgogne, plus qualitatifs. Malgré tout, la ville reste propice à la culture viticole. » Le sol de la commune est riche en calcaire, idéal pour la culture du raisin.
En 2014, Philippe devient adjoint au maire avec le souhait d’immiscer la nature en ville. Dans cette dynamique, il propose au détour d’une réunion municipale de réimplanter des vignes. D’une parole sans prétention, Philippe et Damien deviendront les premiers vignerons de la commune depuis près de 150 ans. « Le vin a toujours été fédérateur chez les hommes, lance Philippe. Il l’a été pour nous deux, il le sera aussi pour Nézel. » En 2017, les deux néophytes fondent leur association viticole, les Coteaux de la Mauldre, pour passer de buveurs à agriculteurs. Dès lors, Philippe y trouve ses aises et échange avec des vignerons, installés partout en France qui le conseillent. « J’ai confiance en ce que nous faisons, c’est presque familier. Je sais que l’on va faire quelque chose de bien et ça me donne de l’énergie », ajoute-t-il.
Du financement à la plantation
Au début, la mairie délivre à l’association deux coteaux idéalement exposés, d’une surface de 5 000 m². L’achat des greffes de vignes et des outils est financé par une campagne de financement participatif, des subventions de la communauté urbaine, du Département et de la Région, rassemblant plus de 35 000 euros. Une partie est réinvestie dans 2 500 pieds de chardonnay et 1000 de pinot noir, des cépages conseillés par des spécialistes au vu du terroir local. En plus de permettre aux fondateurs de croire en leur projet, les fonds couvrent les dépenses de l’association pour qu’aucun particulier ne mette la main au porte-monnaie. Damien, qui développe la partie commerciale, relève : « Le nerf de la guerre, c’est la finance et pour l’instant, on est bien ! » Débutent alors la plantation et l’entretien.
« Etymologiquement, Nézel commence par « nez », c’est-à-dire la pointe. Et avec ce projet on peut dire qu’on est à la pointe ! »

Les terres promises

Leur café terminé, les deux amis sautent en voiture pour rejoindre les parcelles à quelques encablures du lit de la Mauldre. Sur une centaine de mètres de large, s’étend la première. En bas les habitations, en haut la forêt, protégeant les plantations des vents frais. Le coteau offre un point de vue sur le clocher de Nézel et ses alentours. Les vignes, d’une vingtaine de centimètres, sont tuteurées et espacées chacune de quelques mètres.
Arrivés sur le lopin pioche sur l’épaule, Philippe et Damien sont rejoints par le maire, Dominique Turpin (troisième mandat consécutif, sans étiquette), admirateur du projet depuis ses premières heures. Les poignées de main sont chaleureuses et vont jusqu’à l’accolade. Le maire voit au cœur de ce dessein l’occasion de mettre Nézel en valeur, au-delà de la voie ferrée qui relie Paris-Montparnasse à Mantes-La-Jolie et de la D191, vectrice de trafic. De plus, le statut associatif l’enchante, car il permet de recueillir un attrait local, tant touristique que culturel. « Ce projet est le fer de lance d’un changement. Pendant les confinements, les riverains se sont fédérés autour des vignes. En 20 ans, je n’ai jamais vu tant d’entraide et d’échanges intergénérationnels », argumente-t-il, avant de conclure avec humour : « Étymologiquement, Nézel commence par « nez », c’est-à-dire la pointe. Et grâce à ce projet, on peut dire qu’on est à la pointe ! »
Du bénévolat et une bouteille en prime
À chaque occasion, les coteaux rassemblent. Plus de 50 personnes sont venues prêter main forte depuis 2017. Des aides tantôt ponctuelles, tantôt régulières garantissant le maintien de l’activité viticole. En ce dimanche printanier, l’heure est au désherbage des rangs de vignes. Ce matin, deux bénévoles sont venus y contribuer, indemnisés chacun une bouteille de vin par rang pioché, c’est comme ça que ça marche !
La parcelle intrigue les riverains et les randonneurs. Le fondateur se souvient d’une rencontre impromptue lors des fortes chaleurs de l’été 2020 : « On était en train d’arroser les vignes avec un tuyau lambda. C’est alors que le chef des pompiers d’Aubergenville passait dans le coin en famille. Il est venu nous parler et a fini par nous amener de gros tuyaux pour arroser plus largement. Du vrai matériel de professionnel. » Les rencontres dont ils ne cessent de parler sont des éléments centraux surprenant chaque jour les deux vignerons. « J’ai appris qu’une banquière habitait en face de chez moi. Elle m’a contacté pour nous proposer son aide et nous avons construit ensemble un dossier de demande de subvention. Cet accompagnement supplémentaire a été plus que bienvenu », complète Philippe, ravie de rencontrer de nouveaux voisins.

Les vertus pédagogiques de la vigne
Récemment, un cheval de trait est venu désherber entre les vignes. L’événement a largement séduit les habitants. Ludovic Aspas, un père de famille d’une maison mitoyenne à la parcelle, se souvient : « Les enfants ont adoré voir travailler le cheval. Au-delà de la cohésion que ça procure, c’est souvent de l’animation à deux pas de chez nous. En plus, l’évolution de la vigne à un côté pédagogique. » Céline Dos Santos, elle aussi riveraine, a participé à la plantation des greffes. « On espère que les vignes vont vite grandir, car la finalité, c’est aussi de goûter ce vin auquel on aura mis un peu de nous », s’amuse-t-elle.
Cet après-midi-là, Tristan Renoux, un jeune restaurateur et caviste parisien est venu donner un peu d’huile de coude. « J’ai déjà pensé à faire du vin dans la région. Alors grâce à l’initiative de Philippe, je me forme au métier. J’aime beaucoup sa manière d’aborder le projet avec une agriculture saine. Aujourd’hui, le vin est devenu un produit plein de cochonneries, alors participer à une initiative comme celle-là peut insuffler un changement », explique-t-il.
« La vigne est l’une des premières cultures inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il y a donc beaucoup de débouchés, y compris l’attractivité territoriale »
Des critiques qui s’estompent
Malgré tout, comme dans chaque entreprise, il existe des détracteurs. « Au lieu de se fixer sur la vigne, la mairie devrait s’occuper de la voirie », a déjà entendu l’adjoint au maire. Mais les critiques ne sont que feu de paille, assure-t-il. Au téléphone, Mylène Skalski, qui se présentait face au maire Dominique Turpin en 2014, félicite, elle aussi, le projet : « C’est dans l’air du temps et il semble que cela fasse l’unanimité au sein de la commune. La ville a été très urbanisée ces dernières années, alors les projets agricoles sont de bon augure. »
Souvent, ce n’est pas dans ces décisions que les mairies sont attendues, raisonne France Gerbal Médalle, experte en vin et en tourisme culturel. « Le fait qu’elle s’implique lui permet de garder un regard sur ces terres, c’est aussi son rôle. Dans le cas de ce vignoble, la concertation avec la politique locale peut être vectrice de fierté chez les habitants. Rappelons que la vigne est l’une des premières cultures inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. Il y a donc beaucoup de débouchés, y compris l’attractivité territoriale », ajoute l’experte.
Horizon 2023
Aucune ombre au tableau pour les vignerons, même pas l’épisode de gel déploré au début du mois d’avril. Les vignes étant encore au stade de croissance, les premières vendanges auront lieu en 2023. D’ici là, c’est un développement sans récolte qui est privilégié, ce que le gel ne peut a priori pas entraver. « Lors d’un gel, la vigne emmagasine de l’énergie. C’est pour cela qu’après une année difficile, les rendements peuvent être meilleurs. En tout cas, cette gelée de printemps nous rappelle qu’il faudra intégrer à nos coûts, un gel tous les 10 ans », déplore Damien.
La suite s’annonce pleine d’ambition avec de belles idées. Les deux amis pensent notamment à construire un chalet associatif. Il servira à stocker du matériel et accueillir les bénévoles pour des moments toujours plus conviviaux. Le sujet du recrutement d’un employé a aussi été posé sur la table. Avec l’agrandissement de leurs cultures, les Coteaux de la Mauldre pourraient atteindre 5 hectares d’ici 2028, une surface seuil dans le monde viticole permettant de délivrer un salaire. En attendant, habitants comme vignerons n’ont qu’une seule hâte, déguster l’une des 2100 bouteilles qui verront le jour en 2023. Là encore, il y en aura plus que de Nézellois.
Julien Ruffet
Agenda plurimedia

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Même publication que Facebook avec un diaporama photos.


Compléments
Le reportage pourra être agrémenté d'interview audio du maire sur le sujet de l'organisation du projet à l'échelle municipale.
Il serait également intéressant de revenir réaliser un reportage à l'occasion de la première vendange en 2023. Nous pourrions donner aux lecteurs rendez-vous en 2023.
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