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  • Tiana Soares

À Fouras-les-Bains, la plage, dernier symbole du monde d’avant



(Des habitants de Fouras-les-Bains profitant de la plage Sud, ce lundi 19 avril. Crédits : Tiana Soares)




Dans cette station balnéaire, le quotidien des Fourasins s’apparente à celui de bon nombre de français en période de confinement. Mais, sur ses plages, c’est le monde d’avant qui subsiste. Reportage.


Sur la Grande plage de Fouras, toute piquetée de serviettes de bain colorées, les habitants s’adonnent à une séance de bronzage printanière. Réunis en petits groupes sur le sable, des adolescents bavardent, plaisantent et s’appliquent de la crème solaire. Devant eux, le Fort Boyard, l’île d’Aix et l’île Madame se dressent fièrement.

Des enfants chahutent, se courent après. Les plus courageux se bagarrent dans l’eau, encore très fraîche en ce mois d’avril. Une scène de vie ordinaire et emblématique de cette charmante presqu’île balnéaire. Une scène de vie surréaliste, aussi, en plein confinement.

Quand de nombreux citadins ont dû affronter - une nouvelle fois - des appartements exigus pour télé-travailler, d’autres, plus chanceux, ont eu la possibilité de fuir la ville et de choisir un lieu de repli en province, là où les grands espaces se multiplient. «Très honnêtement, avec mon mari, nous n’avons pas hésité une seule seconde», affirme Marion, professeure de français en collège à Paris. «Lors du tout premier confinement, nous sommes restés dans notre T3 parisien avec nos deux enfants. C’était très compliqué pour tout le monde. Alors, cette année, nous sommes venus à Fouras. Nous avons la chance d’avoir une maison située tout près de la plage. C’est bien plus facile, surtout pour les enfants», confie-t-elle.

Même son de cloche pour Antoine, étudiant de 23 ans dans une grande école de commerce parisienne. «Je suis né et j’ai grandi ici. L’an dernier, j’ai refusé de rentrer chez mes parents à Fouras par peur de leur transmettre le virus», explique-t-il. «Mais j’ai vraiment très mal vécu cette période dans mon studio de 15m2. C’est pour cette raison que je suis rentré cette fois-ci.»

Mais, même si la ville de Fouras s’apparente à un lieu hors du temps, très éloigné de la crise sanitaire, la réalité diffère. La Charente-Maritime, longtemps épargnée par la Covid-19, est aujourd’hui sévèrement touchée par le virus et ses variants. Les derniers chiffres, mis à jour le mardi 20 avril sur le site de Santé publique France, indiquent un taux d’incidence de 175 cas pour 100 000 habitants. La tension hospitalière s’élève, quant à elle, à 77%. Jamais les chiffres n’avaient été aussi élevés dans le département.


«Je ne savais pas qu’il fallait porter un masque même sur la plage...»



(L'entrée de la Grande plage de Fouras-les-Bains. Crédits : Tiana Soares)



Pour accéder à la Grande plage de Fouras, il faut emprunter un escalier en ciment gris clair. Sur ses rambardes en briques rouges, une affiche de Santé publique France est agrafée sur un panneau rectangulaire. Le dessin, représentant une personne portant un masque de protection Covid, détonne dans ce cadre paradisiaque. «Port du masque obligatoire sur toute la commune de Fouras-les-Bains», peut-on lire sur ledit écriteau. D’autres affiches comme celle-ci sont présentes dans le centre-ville. Mais, en ce qui concerne les plages (on en compte cinq au total à Fouras), il s’agit de la seule et unique infographie qui rappelle les consignes sanitaires.


Sur le sable, une trentaine de Fourasins profitent des joies du bord de mer. Personne ne porte un masque de protection. Personne ne respecte les distanciations sociales. Les plages sont-elle dispensées des gestes barrières ? «Non, il est obligatoire de porter un masque sur la plage et de respecter les distances de sécurité», nous répond une responsable de la communication de la Mairie de Fouras-les-Bains. «Il faut évidemment enlever son masque si l’on souhaite se baigner, mais il est indispensable de le remettre juste après.»


Pourtant, au quotidien, les habitants de la station balnéaire ne respectent pas ces injonctions sur la plage. En centre-ville et aux alentours, les consignes sont bien tenues. Mais sur le sable doré, tout est oublié. Les directives sont-elles trop imprécises ? Et trop peu présentes aux abords des côtes ?

«Il faut porter un masque sur la plage ? Non mais on marche sur la tête», s’agace Sylvie, une enseignante à la retraite, déjà très bronzée en ce mois d’avril. «Ces informations contradictoires sont épuisantes. Le gouvernement disait, il n’y a pas si longtemps, qu’il n’était pas nécessaire de porter un masque en extérieur, surtout quand il y a peu de monde. Je ne vois vraiment pas qui je pourrais contaminer en restant sur ma serviette ! C’est ridicule», conclut-elle, avant de s’installer sur son fauteuil pliant couleur cyan.





















(Le port du masque est bien respecté en centre-ville. Crédits : Tiana Soares)




Des odeurs de tabac se mêlent aux embruns. Ces effluves émanent d’un groupe de cinq adolescents, assis en rond sur le sable. Ils fument des cigarettes Marlboro, discutent et feuillettent des magazines. «Je ne pensais pas qu’il fallait porter un masque même sur la plage…», admet Camille, étudiante en licence de droit à l’Université de La Rochelle. «Mais si c’était vraiment obligatoire, il y’aurait des contrôles régulièrement. Sauf qu’il n’y en a jamais ici…»


Même discours pour Monique, 73 ans, une fourasine de souche. «Écoutez, je suis née ici et je n’ai jamais porté un masque sur ma plage, et je n’en porterai jamais», s’époumone-t-elle. «Il y a de l’espace, on est au bord de la mer, il n’y a aucun risque de contamination. Je viens presque tous les jours et je n’ai jamais vu de policiers réprimander des gens sur la plage !»




(Des groupes d'amis se retrouvent sur la Grande plage de Fouras, plusieurs fois par semaine. Crédits : Tiana Soares).


Mais les policiers ne partagent pas cet avis. «Biensûr qu’il y a des contrôles régulièrement», nous confie un agent d'un ton catégorique. «Mais on ne peut pas être partout. On surveille toujours si le couvre-feu est bien respecté aux alentours des plages, après 19 heures.»


D’autres habitants de la presqu’île nous ont fait part de leur incompréhension au sujet du port du masque sur la plage. Après leur avoir indiqué le taux d’incidence important en Charente-Maritime, ils ont trouvé des responsables. «Je ne savais pas que les chiffres étaient aussi élevés en ce-moment…», avoue Yves, laitier à la retraite. «Avant, il n’y avait presque pas de cas de Covid-19 ici… On était tranquilles. Mais avec l’arrivée des Parisiens, vous savez…»


La plage, un terrain d’entente entre les habitants et les résidents secondaires



(En ce mois d'avril, la quiétude règne sur la plage Sud. Crédits : Tiana Soares)


Avec la crise du Covid-19, les tensions entre les habitants et les résidents secondaires se sont intensifiées. «Je sais quand ils arrivent, je sais quand ils partent», explique Joseph, retraité. «Ici, il y a certaines maisons où les volets sont toujours fermés. Quelques jours après l’annonce du troisième confinement, tous les volets de ces villas étaient ouverts. Ils viennent de Paris c’est sûr, et c’est pareil sur l’Île-de-Ré.»


Encore une fois cette année, l’arrivée des Parisiens en Charente-Maritime n’est pas passée inaperçue. Tous les trains au départ de Paris en direction de La Rochelle Ville étaient complets à quelques jours du troisième confinement national. Par ailleurs, de nombreux campings situés sur l’île de Ré ont été pris d’assaut, pour le week-end de Pâques ou pour plusieurs semaines. Des informations qui ont été relayées par les médias locaux sur les réseaux sociaux. Et qui ont très probablement attisé les tensions.

Certains habitants de Fouras-les-Bains ont même fait part de leurs craintes à la gendarmerie. «On a reçu plusieurs coups de fil récemment, oui…», nous confie un gendarme. «Certains habitants sont inquiets, ils craignent que les résidents secondaires apportent le virus ici. Que voulez-vous qu’on leur réponde ?»

Même les commerçants ne semblent pas ravis par ces arrivées soudaines. «En temps normal, on est tous contents de les savoir ici», explique le gérant d’un tabac-presse de la ville. «Mais en ce moment, c’est un peu différent… On a pas envie que le nombre de cas augmente par ici.» Cette défiance est ressentie par les citadins qui ont choisi de se confiner dans la station balnéaire. «Disons qu’il y a des regards appuyés qu’on ne subissait pas auparavant», déplore Marion. «C’est un peu pesant, mais ça ne va jamais plus loin.»

Pourtant, sur le sable, toutes ces tensions semblent inexistantes. Chaque après-midi, les rires des enfants et de leurs parents se mêlent au bruissement des vagues. Des personnes âgées - confortablement installées dans leur fauteuils pliants, s’occupent à remplir des grilles de mots-fléchés. En période de confinement, la Grande plage se transforme en terrain neutre pour les Fourasins et les résidents secondaires. Comme si, finalement, elle s’apparentait à un lieu sacré, où les épidémies et les conflits ne peuvent exister.



(Nombre de signes texte courant : 7200 signes.)

(Relecture V1 : Elisabeth Pierson)


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Photo de Une en image d'accroche. Utiliser une phrase interrogative qui présente l'angle de mon reportage et qui suscite la curiosité du futur lecteur.

"Pourquoi les habitants de Fouras-les-Bains ne respectent-ils pas les gestes barrières sur les plages ? Est-ce un acte de résistance ou simplement une méconnaissance des consignes sanitaires ? Marion, Sylvie, Camille, et Yves, des résidents, nous répondent."

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