À Paris, les friperies misent plus sur les économies que sur l’écologie
- Quentin Coldefy
- 14 sept. 2022
- 4 min de lecture
Si certains acteurs du secteur de la seconde main surfent sur des arguments environnementaux pour poursuivre leur développement. À Paris, les friperies préfèrent mettre en avant les petits prix.

Par Quentin Coldefy
« Je n'ai jamais accroché à l'argument écolo que je trouve hypocrite.» Quand est évoqué l’intérêt environnemental du seconde main, Anne-Sophie Filippi lève les yeux au ciel et laisse entrevoir un sourire narquois. Co-fondatrice avec sa sœur de La Frange à l’envers, friperie située passage Saint-Maur dans le 11e arrondissement, cette Lyonnaise a fait le pari de la croissance. Installée à l’origine dans un local quelques mètres plus loin, la boutique occupe désormais deux étages de plus de 150m² et emploie vingt personnes. Avec deux maîtres mots : le service et le prix.
« Quelqu’un qui aimerait s’habiller chez les Galeries Lafayette mais n’en a pas les moyens trouve ce qu’il lui faut ici », poursuit la jeune femme dans une robe rouge estivale. « L’argument le plus fort est l’argument économique parce qu’il est évident. » Consciente de l’impact écologique de l’industrie textile, elle refuse malgré tout de s’en servir pour promouvoir son activité : « Ces vêtements ont été fabriqués puis achetés neufs. Le jour où on n’en produit plus, nous on n'existe plus. Ici une pièce reste une semaine, ça tourne. On a besoin que les gens consomment. »
« On a besoin que les gens consomment. »

Que ce soit à Adöm, rue de la Roquette, ou chez L’Atypique, rue Chanzy, le fond du discours ne varie pas. Pour Franck et Dominique, gérants respectifs des deux friperies, les prix réduits sont la première raison pour laquelle ils attirent des clients. En 2021, les achats de prêt-à-porter d’occasion ont augmenté de 51 %, selon l’Observatoire Natixis Payments, soit un bond de 140 % par rapport à 2019. Dans un contexte où, selon Oxfam, la production de vêtements représente 10% des émissions de gaz à effet de serre mondiales et est considérée comme le troisième secteur industriel le plus consommateur en eau (en moyenne 70 litres pour un t-shirt), certains acteurs de la seconde main ont su tirer profit de l’argument environnemental.
L’écologie, parfait cheval de Troie pour certains acteurs
« Nous sommes un moyen accessible de consommer de manière plus responsable. » Sollicité, Vinted n’a pas tardé à mettre en avant la dimension vertueuse de son activité. La plateforme de ventes de vêtements d’occasion entre particuliers est la figure de proue de l’essor de la seconde main. « Début 2021, Vinted comptait plus de 16 millions de membres enregistrés. Aujourd’hui, la plateforme en compte plus de 22 millions en France. C’est le marché numéro un », explique Juliette Pagnaz, attachée de presse pour l’entreprise. Derrière ce développement frénétique, un immense catalogue « de plus de 300 millions de produits de seconde main disponibles en quelques clics. » Un volume qui fait chanceler l’invitation à la sobriété. Dans sa publication « Le revers de mon look », l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) explique, qu'en moyenne, une personne achète 40% de vêtements de plus qu'il y a 15 ans et les conserve moitié moins longtemps.
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« On se donne bonne conscience mais on consomme plus et, au final, cela alimente le marché du neuf. »
Co-fondatrice de SloWeAre, label indépendant de la mode éco-responsable, Eloïse Moigno tranche dans le vif. « Ces plateformes surfent sur l’argument écologique pour pousser à l’achat compulsif via des systèmes d’alerte par exemple », explique-t-elle. « Cette tendance a beaucoup d’effets pervers. On se donne bonne conscience mais on consomme plus et, au final, cela alimente le marché du neuf. » Et l’analyse ne se cantonne pas aux entreprises du digital. « La dimension éthique et écologique varie beaucoup selon les acteurs. Ce qui reste certain, c’est que l’achat en boutique physique est un mode de consommation plus slow qui, en plus, soutient le commerce de proximité. »
Engagée pour réduire la consommation de vêtements neufs, Oxfam a créé en 2019 le « Second Hand September », un événement d’un mois pour faire la promotion des vêtements d’occasion. L’organisation internationale développe des boutiques solidaires dont le but est de récupérer des dons ensuite revendus au profit d’actions ciblées en faveur de l’environnement. « Nous défendons le fait de consommer mieux et moins », insiste Manon Duval. La responsable des magasins de l’antenne française n’est pas dupe des détournements de la tendance de la seconde main. « Il y a effectivement des dérives. Certaines personnes achètent du neuf pour le revendre tel quel sur des plateformes ou après l’avoir porté une ou deux fois seulement. »
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