À Paris, les tags du tunnel des Tuileries apaisent les passants
- Emile Benech
- 14 sept. 2022
- 4 min de lecture
Long, gris, peu éclairé, insalubre. Voilà comment pouvait être défini le tunnel des Tuileries, à Paris (Île-de-France). Mais, depuis le 22 juillet 2022, cette voie interdite aux voitures a pris un coup de jeune grâce à une exposition temporaire, "L'Art urbain en bord de seine". Pour le plus grand plaisir des passants, rassurés. Reportage.

Le tunnel des Tuileries, à Paris (Île-de-France) accueille depuis le 22 juillet 2022 une exposition temporaire, "L'Art urbain en bord de Seine". Depuis, les passants, réguliers ou touristes, s'y sentent mieux.
Photo : Emile Benech / Le Parisien
Par Emile Benech
« Il est moins insalubre, on sent qu’un travail a été fait sur l’aération » ; « ils ont rajouté des lumières, c’est moins inquiétant » ; « on sent vraiment le changement »… Ces avis, recueillis à proximité du tunnel des Tuileries, à Paris (Île-de-France), ce mardi 13 septembre 2022, sont donnés par les mines réjouies d’utilisateurs fréquents du souterrain, interdit aux voitures. Pourtant, l’aération n’a pas été changée. Aucune nouvelle lumière n’a été branchée. Le seul changement, c’est l’arrivée de l’exposition temporaire, L’art urbain en bord de Seine.
Commandée par la mairie de Paris, elle remplit quasiment les 800 m du tunnel. « Au début, nous n’occupions qu’un tiers de la surface, avec de tout petits cachets pour les artistes, explique Nicolas Laugero, président de l’École de médiation culturelle et marché de l’art (Icart) et commissaire de cette exposition. Mais l’idée a suscité tellement d’enthousiasme que plusieurs artistes sont venus taguer gratuitement ensuite, nous permettant de recouvrir l’entièreté des murs ! »
Un changement remarqué
Dans ce tunnel, on trouve d’habitude les cyclistes, qui empruntent cette voie à toute vitesse pour traverser la capitale, puis des sportifs, attirés par la vue de la Seine et par l’absence de voitures. Philippe, 77, ans, est de la seconde catégorie. Il prend ce chemin trois fois par semaine, pour faire ces 25 kilomètres de vélo. Le changement, ce retraité dans sa tenue de cycliste jaune fluo, l’a aussi remarqué. « C’est bien moins insalubre qu’avant, et on sent qu’ils ont fait un travail sur l’aération. Ce serait bien qu’ils en fassent de même pour le tunnel près des Nautes [à quelques kilomètres du tunnel des Tuileries, ndlr]. »
Denis, décorateur parisien, emprunte ce chemin quelques fois par semaine, quand le travail l’ordonne. Les yeux rivés sur son téléphone, admirant sa photo de la fresque représentant un levrier, tagué par l'artiste Andrea Ravo Mattoni, il admet qu’il n’était pas très serein lorsqu’il rentrait dedans. « C’est vrai que l’éclairage était vraiment bizarre. » Depuis l’arrivée de l’exposition temporaire, il préfère les lumières, qui permettent « de mieux voir ».

La fresque représentant un lévrier, de l'artiste Andrea Ravo Mattoni. Photo: Emile Benech / Le Parisien
L’art résoudrait tous les problèmes ?
Mais comment expliquer que ce tunnel soit aujourd’hui bien mieux perçu, alors que le commissaire de l’exposition l’assure, il n’a rajouté aucune lumière et n’a pas touché à l’aération ? Nicolas Laugero avait également ce sentiment de mal-être en rentrant dans cet espace gris, « pas du tout fait pour les piétons. Mais l’art résout tous les problèmes », sourit-il. Ce serait un brin plus compliqué, selon Antoine Vielcanet, sociologue chargé d’étude au sein de l’Institut Paris Région, spécialiste du sentiment d’insécurité. « Pour comprendre ce sentiment, il faut d’abord savoir qu’il ne provient pas forcément d’agressions constatées. Les petites incivilités, les endroits dégradés, sales, font également augmenter le sentiment d’insécurité. »
Le sociologue a mené plusieurs études sur ce thème dans les transports en communs. Il s’est rendu compte que les fresques murales, qu’on peut retrouver notamment à la station Invalides - et qui seront généralisées dans les gares du Grand Paris Express, diminuaient le sentiment d’insécurité. « Elles rassurent les personnes, car elles permettent de voir qu’il y a un gestionnaire des lieux, qui organise l’espace et le maîtrise. »
Un sentiment partagé par Kaithlin, une joggeuse en voyage depuis Denver, aux États-Unis. Elle se permet même d'arrêter plusieurs fois sa foulée, pour prendre des photos, grand sourire aux lèvres. « Je ne serais probablement pas rentré dedans si je n’avais pas vu qu'il y avait une exposition à l'intérieur. je me sens plus en sécurité comme ça ! »
Une troisième catégorie de passants s'invite dans le tunnel
Pour Hydrane, street-artiste exposée dans le souterrain, l'exposition temporaire aurait un autre bénéfice : « Elle change de fait la fonction du tunnel, qui passe d'un endroit de passage à un endroit d'agrément, où l'on peut se balader, prendre son temps, s'arrêter pour regarder les œuvres. L'endroit devient bien plus convivial ! »

La fresque d'Hydrane. Longue de 80 mètres, c'est la plus grande de l'exposition. Photo : Nicolas Laugero
Et ce ne sont pas Gérard et Marie, un couple de retraité nantais, qui contrediront l'artiste. De passage à Paris pour la semaine, ces derniers sont venus visiter le tunnel, après avoir chercher quoi faire à Paris sur Internet. Bon, les deux sont adepte de la visite des souterrains : « On en a déjà visité un à Berlin, et un à Londres », sourit la pétillante septuagénaire. Mais ils apprécient les œuvres et la promenade, s'arrêtant fréquemment pour commenter tel ou tel graph.
Selon le commissaire de l'exposition, qui a mis en place un comptage « plus ou moins opérationnel » au lancement de l'expo, entre 1 000 et 2 000 personnes rentrerait chaque jour dans le tunnel. « Aujourd'hui, plus personne ne pourrait croire que personne n'y rentrait avant sauf en courant ou en pédalant ! » L'arrivée de cette troisième catégorie de passants doit aussi jouer dans la sérénité des personnes, estime Nicolas Laugero.
Dispositions à agir
Selon Antoine Vielcanet, les expositions temporaires auraient un autre bienfait : elles rallumeraient également des « dispositions à agir ». « Ce sont les gestes qu’on apprend enfant, au musée par exemple, lorsqu’on est appelé à se tenir tranquille, à ne pas être trop bruyant ou à ne pas dégrader les espaces. » L’exemple parfait, c’est celui des rames du RER C, filigranés aux couleurs du château de Versailles. Selon le chercheur, ce simple décor aurait permis une baisse de presque 20 % des incivilités.
De quoi donner à la mairie de Paris l'envie de retenter l’expérience ailleurs ? « Nous sommes encore en train de tirer le bilan de cette exposition », explique l'équipe de l'adjoint au maire en charge de la voirie, David Béliard. Pour Nicolas Laugero, en tout cas, c'est un « grand oui ».
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